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Que vous êtes la base et le centre de tout. Que nous portons dans nos ventres vos paysages. Que pour ça, la clope du matin ne devrait pas être votre unique récompense. Que ceux qui vous caressent dans le sens du poil ne veulent pas votre paix mais plutôt votre calme. Que, dans ses profondeurs, la terre ne connaît pas leurs frontières. Que vous n’avez rien en commun avec les seumards atteints de patriotisme. Que votre mal à vous est bien réel. Que vous aimez la terre pour ce qu’elle peut donner quand eux la défendent pour ce qu’elle porte de peurs. Que ce sont ces bras dits étrangers qui vous permettent bien souvent de tenir. Que leur amour nouveau pour cette terre a les mêmes racines que votre amour séculaire. Que tous les corps souffrent de la même manière au soleil, strictement de la même manière, et que de la main de l’actionnaire à la corde au cou, il n’y a qu’un glissement, et qu’elle est là, la vraie tragédie, la vraie trahison.
Que des tours HLM aux champs de betteraves, on est pauvres pareil et, quand un paysan se suicide ou un jeune de banlieue est assassiné, on entend la même plainte étouffée, le même sanglot étranglé, le même hurlement sourd. Qu’une autoroute bloquée ou une bagnole qui crame, c’est le même symptôme. Qu’un pauvre est un pauvre comme un chien est un chien, que nos misères sont liées, que notre rage est la même comme cette terre est commune et surtout : qu’on n’en peut plus de ravaler nos cris. Alors ce soir, quand la dernière clope sera finie dans ce monde en silence, retirons-nous du mal. Et, au moment de couper les phares du tracteur pour rejoindre la nuit, d’un geste vif et sans retour, vomissons nos ventriloques.
by Physical-Stress4023
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La lettre de Giono aux paysans : https://lesamisdebartleby.files.wordpress.com/2015/11/tc3a9lc3a9charger-le-fichier-lettre-aux-paysans.pdf