Professeur de sociologie politique, Vincent Tiberj s’appuie sur des statistiques de long terme pour montrer que les Français ne sont pas de plus en plus conservateurs, contrairement à ce que pourrait laisser penser certains sondages, débats ou résultats électoraux. « La droitisation française, mythe et réalités » a été publié aux PUF le 4 septembre 2024. Extrait choisi.
by cerank
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Un travail intéressant, même s’il faut l’utiliser avec précaution : ce n’est pas comme s’il existait un peuple “naturellement” de gauche qu’il n’y aurait plus qu’à cueillir.
Mais c’est très bien de ne pas réduire les citoyens à leur votes (ou leur non vote).
>Je postule que la droitisation est simultanément une réalité, par en haut, et un mythe, par en bas. (J’utilise le mot « mythe » dans son sens le plus actuel et commun : une illusion.) Elle pèse sur les candidats et les partis : certains changent d’agenda, hésitent à défendre leurs convictions, quand d’autres en sont convaincus par idéologie et par leurs réseaux sur le terrain ou sur Internet. La droitisation décourage certains citoyens qui se détournent des urnes ou portent leurs efforts vers des manières différentes de participer, alors que d’autres sont galvanisés et se voient désormais comme la « majorité » de moins en moins silencieuse ou le « pays réel ». Les résultats de 2024 ne peuvent que les conforter de ce point de vue. D’ailleurs, certains considèrent qu’on leur a volé la victoire aux législatives, comme d’autres aux États-Unis en 2020. La droitisation conduit certains commentateurs et journalistes à ne percevoir la société française qu’à travers des prismes qui la réduisent, la simplifient et la déforment. La droitisation en France prend des airs de réalité et pourtant, elle est loin de la couvrir complètement.
> Pourquoi, alors que les données d’opinion vont à l’encontre de la thèse de la droitisation, celle-ci reste-t-elle évidente aux yeux de beaucoup ? Il faut s’intéresser à la manière dont les débats autour des enjeux culturels ont changé « par en haut », s’interroger sur les dynamiques intellectuelles et politiques qui favorisent l’émergence d’un bruit de fond conservateur, mais aussi sur l’évolution des pratiques médiatiques des citoyens et de ce que cela entraîne en termes de fractionnement des publics et de « bulles de filtre ». Cette fragmentation médiatique a contribué à la légitimation de paroles droitisantes et à leur renforcement dans certaines strates de la population. Désormais, ces citoyens ne se sentent plus « seuls » et même peuvent se penser (enfin) reconnus.