Sur les réseaux sociaux, des hommes, des vrais, par Anne Jourdain (Le Monde diplomatique, juillet 2024)

by StarLouZe

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  1. Dossier : France, de la crise au chaos politique

    # Sur les réseaux sociaux, des hommes, des vrais

    C’est une nébuleuse. Des influenceurs, des vidéastes engagés dans la défense d’une identité masculine qu’ils estiment menacée. Souvent liées à l’extrême droite, ses principales figures volent au secours du patriarcat, soldats valeureux d’une guerre féroce, et parfois cynique, tout entière consacrée à la cause des hommes.

    En apprenant le ralliement de M. Éric Ciotti au Rassemblement national (RN), Julien Rochedy n’a pas caché sa joie : *« Mon rêve politique depuis plus de dix ans »,* s’enthousiasmait-il sur son compte X (137 000 fidèles). Le fringant trentenaire, directeur du Front national de la jeunesse au début des années 2010, a quitté le parti d’extrême droite en 2014, notamment pour protester contre la présence de *« petits mecs autour de Florian Philippot », « des jeunes gens qui ne sont pas des hommes selon [son] cœur ».* Depuis, Rochedy a tenté de monter une formation à la masculinité et à la séduction (l’école Major), un projet qui a fait long feu malgré sa recette originale *(« courage », « esprit de conquête », « volonté de puissance »).* Il mène désormais une carrière de vidéaste sur Internet. Et il publie des livres aux Éditions Hétairie : *L’Amour et la Guerre. Répondre aux féministes* (2021) ; *Veni Vidi Vici. Menaces sur les gauchistes* (2021, avec Papacito) ; *Surhommes et sous-hommes. Valeur et destin de l’homme* (2023)*…* À l’évidence, l’essayiste a ses lubies : il veut restaurer l’*« idéal d’une virilité saine et aristocratique pour la masculinité, celle de “l’homme total” européen, du Grec au gentilhomme ».*

    Avec Papacito, Baptiste Marchais, Valek ou encore Stéphane Édouard, Rochedy incarne la fine fleur de la sphère masculiniste française (la « manosphère »), qui fantasme un monde régenté par les femmes où la masculinité serait menacée, dans un discours mêlant homophobie, misogynie, et bien souvent xénophobie ou désir d’autoritarisme. Des idées de plus en plus partagées, constate l’anthropologue Mélanie Gourarier, qui a enquêté durant plusieurs années auprès de groupes d’hommes se présentant comme des « séducteurs ». *« Ce discours se développe depuis trois (…) décennies en France et plus largement en Europe et en Amérique du Nord autour de la défense des pères, des hommes et du masculin plus généralement. Apparemment sans rapport les uns avec les autres, ces récits victimaires procèdent pourtant de la même idéologie masculiniste, fondée sur l’apologie de la “cause des hommes” ».* Une réaction *« aux luttes féministes »* et à *« plusieurs décennies d’oppression misandre »*. ([1](https://www.monde-diplomatique.fr/2024/07/JOURDAIN/67159#nb1))

    Certains « séducteurs », les « pickup artists », ont saisi là une occasion. Contre rémunération, ils coachent leurs congénères tétanisés par les nouvelles règles du marché sexuel. Esthètes et chasseurs à la fois, leur habileté à « prélever » des individus femelles épate leur public. Ne reculant devant aucune manipulation pour « ferrer » des femmes et les mettre dans leur lit, ils s’échangent des astuces pour que cède la « résistance de dernière minute », celle qui pourrait conduire leur « proie » à « détaler ». Les Incels ([2](https://www.monde-diplomatique.fr/2024/07/JOURDAIN/67159#nb2)), pour leur part, se « résignent » au célibat et détestent les femmes qui les privent des relations sexuelles auxquelles ils pensent avoir droit. Sur leurs forums Internet, ils brassent des idées noires. Les plus radicalisés commettent des attentats puis se suicident. Comme Elliot Rogers (six victimes en 2014) ou Scott Beierle (deux en 2018) aux États-Unis, comme Jake Davison au Royaume-Uni (cinq victimes en 2021). De ce risque, la sécession préserve les MGTOW *(men going their own way,* « hommes traçant leur propre chemin »). Par les temps qui courent, estiment-ils, entretenir des relations avec les femmes constitue un danger. Combien de carrières brisées après qu’une « féminazie » s’est plainte d’un comportement inapproprié ? La justice, toute à sa misandrie, statuerait d’ailleurs systématiquement en faveur des mères en cas de divorce. Elle priverait les hommes de leurs enfants, tout en les condamnant à de ruineuses pensions alimentaires.

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