Pascale Joannin est la directrice de la Fondation Robert Schuman, centre de recherches et laboratoire d’idées qui œuvre en faveur de la construction européenne.
La souveraineté européenne existe-elle autrement que d’un point de vue économique avec l’euro ?
L’Union européenne a toujours été le lieu de création d’une souveraineté européenne. Ses États membres ont donné leur compétence à une autorité supranationale dans différents domaines : la concurrence, le commerce, la pêche mais aussi avec la monnaie, depuis la création de la zone euro, il y a 25 ans. Toutefois, l’UE n’est pas un État et les compétences sont partagées entre ceux-ci. Récemment, nous avons constaté une réelle dépendance extérieure, que ce soit pendant le covid, avec l’industrie pharmaceutique, ou encore notre modèle de défense, avec la guerre en Ukraine. Après la chute du mur de Berlin, de nombreux États ont cru aux dividendes de la paix et n’ont pas assez investi dans leur modèle de défense.
Pascale Joannin est politologue et dirige la Fondation Robert Schuman. (© Vernier/JBV NEWS)Le retour de Donald Trump à la Maison blanche et la perspective d’un désengagement américain du Vieux continent est-il une opportunité pour, enfin, entamer la construction d’une Europe de la défense, dont de nombreux pays européens ne veulent pas ?
Oui, il faut essayer de construire un pilier européen plus fort qui ne soit pas une coquille vide comme aujourd’hui. Nous avons les moyens de rétablir notre souveraineté mais nous manquons de volonté politique. L’Europe doit dépenser plus pour sa défense et arrêter de s’abriter sous le parapluie américain, qui est, de toute façon, en train de se replier. Donald Trump va aller encore plus loin que lors de son mandat précédent.
Dans cet environnement international de plus en plus hostile, un dépassement des intérêts particuliers est-il aujourd’hui possible pour parfaire une véritable souveraineté européenne ?
D’abord il nous faut définir l’intérêt européen en commun afin de dépasser les clivages nationaux et ainsi imiter nos concurrents : États-Unis, Chine, Inde. En matière de défense, par exemple, il n’est pas normal que nous ayons autant de modèles de chars et d’avions de combat. De plus, le rapport de Mario Draghi sur le décrochage économique de l’Union européenne rappelle notre défaut d’investissement, et la nécessité de reconstruire notre politique commerciale en protégeant les producteurs européens.
La possible signature de nouveaux accords agricoles avec le Mercosur n’est-il pas, selon vous, un risque majeur à la fois en termes concurrentiels et sanitaires ?
Comme pour la pêche, il existe une politique agricole commune (PAC) depuis les années 60. Même si elle est très normative, la PAC permet de protéger les agriculteurs dans un marché très concurrentiel. De plus, l’UE refuse déjà certains accords comme le Mercosur parce que les normes sud-américaines ne sont pas les mêmes que chez nous.
Il y a donc bel et bien des garde-fous mais il ne faut pas pour autant être vent debout devant tous les accords, et plutôt demander à l’UE d’être vigilante.
Dans un monde de plus en plus concurrentiel, sommes-nous capables de protéger notre marché commun en étant aussi agressifs que les autres ?
Le monde entier nous envie notre marché commun. Grâce à cela, nous avons les moyens de répondre au protectionnisme des États-Unis et de la Chine, même si ces derniers ne nous feront pas de cadeau. Nous devons aussi investir massivement dans le numérique. Car, pour l’heure, nous n’avons plus de leaders mondiaux dans ce domaine.
En effet. Tout en renforçant sa dépendance au gaz russe, l’Allemagne a choisi d’abandonner le nucléaire pour des raisons idéologiques. En parallèle, la Chine et les États-Unis achètent moins de voitures allemandes. Ces fragilités structurelles et la construction d’une coalition politique bancale fragilisent fortement l’Allemagne, alors qu’elle est un pilier de l’Europe, et doit résister aux assauts de Donald Trump, en janvier prochain.