C’est un récit poignant, mais parfois inaudible tant il était ponctué de pleurs, qu’a livré une jeune femme de 19 ans ce lundi 16 décembre devant la cour d’assises du Finistère. Au point que la présidente Aurore Carpentier a proposé de lire ses déclarations pour évoquer le viol qu’elle assure avoir subi à 13 ans sur Brest en 2018. « Non, il faut que je sois entendue, que je parle, pour toutes celles qui ne le font pas. Un enfant n’est jamais consentant ». Alors Élodie (*) a raconté. Tout.
C’était « papa »
Comment, ballottée depuis très jeune de foyers en familles d’accueil, suivie par les services sociaux depuis ses 8 ans, avec un père absent et une mère alcoolique, elle s’était attachée à son nouveau beau-père, âgé de 32 ans. Il ne fréquentait pourtant sa mère que depuis quelques mois après une rencontre en foyer, mais la collégienne y voyait un couple et l’appréciait. Elle aimait aussi ses deux jeunes enfants. « Son frère et sa sœur », comme elle disait. Le compagnon, c’était « papa ». « Il m’a dit que je pouvais, je n’avais jamais eu de figure paternelle ».
Ce 9 octobre 2018 à midi, elle le rejoint « en toute confiance » dans son logement brestois. Selon elle, il l’a conviée la veille à venir jouer à la console, en aparté, lors d’un repas en famille. « Il m’a demandé de dire que j’étais avec des copines sinon maman aurait dit non. J’ai pris un sandwich dans la cuisine, lui fumait du cannabis, j’avais l’habitude, je n’y faisais même plus attention. Il m’a pris par la main pour me montrer un changement dans la chambre d’un des enfants. Un matelas était posé au sol. »
« Je me souviens de son regard, j’étais tétanisée »
Les paumes de ses mains grattent frénétiquement le pupitre. La grande jeune femme aux cheveux châtain clair pose ses lunettes, et poursuit, non sans mal. « Il m’a dit de me taire, m’a touchée la poitrine et m’a allongée. Je me souviens de son regard, j’étais tétanisée. Et puis, il m’a pénétrée. » Les positions précises, la violence dans les actes, les poignets serrés… Son récit se mêle étrangement à celui de sa mère quand elle évoquait ses propres ébats avec l’accusé.
Élodie se remémore sa phrase prononcée à la porte : « Poupée, on pourra recommencer. Je ne comprenais pas ce qui m’était arrivé. Lui me disait de ne pas en parler, sinon il perdrait ses enfants. Il jouait avec ça. Il ne m’a pas tuée physiquement, il m’a tuée intérieurement », hurle la jeune femme qui souhaitait rester vierge jusqu’à sa majorité.
« Je ne suis pas un violeur »
Elle ne dira rien pendant près d’un mois, jusqu’à sa plainte du 5 novembre 2018. Ses proches au collège, où elle est de plus en plus absente, ou sa mère ont vu quelques signes. Elle se renferme, perd sa jovialité, s’isole, opte pour des conduites à risque. Il est question de scarifications, de deux tentatives de suicide. « Mais je ne l’ai pas fait pour maman. » Cette maman qui s’en veut. « Je n’ai pas protégé ma fille, a-t-elle indiqué aux enquêteurs. J’ai trouvé louche qu’il lui dise qu’elle pouvait l’appeler papa. Il est fou, et c’est un manipulateur. Il l’a violée parce qu’il savait qu’elle ne dirait rien. »
Une photo d’Élodie le jour de sa plainte ponctue son récit à la barre. À sa vue, elle s’effondre sur son avocat. Les experts psychiatres ont conclu qu’il « n’y a aucune raison de douter de ses dires ». Récente bachelière, la jeune femme travaille aujourd’hui en Ehpad et prépare des études d’infirmière, en Vendée, loin de sa maman, « pour me reconstruire ».
À la barre, le père de famille de 38 ans qui a refait sa vie près de Marseille, avec une nouvelle compagne et un enfant de huit mois, mais, ne voit plus ses deux premiers enfants, peine à garder son calme. Gestes à l’appui. Petit gabarit, queue-de-cheval et barbichette finement taillée, celui qui a déjà quatorze condamnations à son actif mais aucune à caractère sexuel, réfute les accusations. « Tout ce qu’elle vous dit est faux, je ne suis pas un violeur. D’accord, j’ai un casier costaud mais j’ai payé. Elle est venue alors que ce n’était pas prévu, elle a mangé, on a joué à la console, et elle est repartie au collège, elle ne voulait pas y aller. »
« Attiré par les jeunes filles »
Comme explication, ce livreur de métier qui a aussi connu de nombreux foyers dans sa jeunesse, évoque une jeune fille « amoureuse, j’étais gêné quand elle posait la tête sur mon épaule pour une photo, ou alors qui veut se venger. Sa mère, c’était mon plan cul. Mon erreur est là. Je n’ai pas vu arriver le reste. J’ai fait du mal en les laissant, j’en ai conscience. Mais Élodie n’était déjà pas bien avant, elle était déjà scarifiée quand je l’ai connue ».
De nombreuses connaissances ou proches le décrivent comme « manipulateur », « vicieux », « très attiré par les jeunes filles ». Le jour de son interpellation, il était avec une jeune femme de 17 ans qui venait de s’installer chez lui. Il encourt vingt années de réclusion. Verdict ce mardi.