« Pour que tous les ados harcelés, parlent et retrouvent l’espoir. » Ces quelques mots, cette dédicace, écrite en troisième page du livre Noémie est en vie, résonne dans l’esprit du papa de deux jeunes filles que je suis. Noémie est l’autrice de la dédicace et l’héroïne, malgré elle, du récit qu’elle cosigne avec ses parents Marie-Frédérique et Gérard.

Alors qu’elle menait « une vie heureuse et même privilégiée », à 14 ans, en classe de 3e au collège, dans la banlieue ouest de Paris, elle « devient la cible d’un harcèlement à caractère pornographique », sur plusieurs réseaux sociaux, de la part « d’autres élèves du collège ».

« Il y a trop de choses qui n’ont pas été faites »

Un bouleversement pour toute la famille qu’ils ont décidé de raconter à trois, entre inquiétude, angoisse d’un geste désespéré, colère mais surtout rage de se battre, malgré les nombreux obstacles. Un témoignage aussi pour « que d’autres victimes potentielles échappent à ce tourbillon dangereux ».

Quelle a été votre première réaction quand Gérard vous a proposé ce livre ?

Noémie : « Cela ne nous a pas forcément surpris… J’ai tout de suite été convaincue. J’avais confiance en lui, il est en plus écrivain (1). Je me suis dit que cela pouvait être une bonne expérience à vivre. »

Marie-Frédérique : « Connaissant Gérard, je n’ai pas été surprise non plus. C’était le seul moyen qui s’offrait à nous pour réhabiliter Noémie. C’était notre manière de trouver un sens à tout cela. Mais on n’a pas fait un livre uniquement pour Noémie. On l’a aussi fait pour alerter. Je ne sais si cela va servir. Le livre énonce ce qui s’est passé, tous les faits. Il y a un peu de jugement, on ne lance pas la pierre, ni à l’État ni au ministère, mais il y a eu trop de dysfonctionnements par rapport à notre fille. Si les choses avaient été faites, a minima comme elles auraient dû l’être, on n’en serait pas là. »

Vous pointez effectivement ces manquements à plusieurs niveaux de la chaîne éducative.

Marie-Frédérique : « Il n’y a strictement rien eu, hormis la CPE du collège et un professeur. On a fait tout ce qu’il y avait à faire et nous n’avons jamais reçu de nouvelles. Si ce n’est fin mai, après la rencontre avec un député que Gérard connaissait. Pour moi, il y a trop de choses qui n’ont pas été faites, je considère cela comme de la non-assistance à personne en danger.

« Il y a des événements qu’on ne peut pas laisser faire comme cela, c’est inacceptable. Il faudrait que cela rentre dans le cadre d’une loi et non pas seulement d’un protocole. On a le droit de se tromper en essayant de faire des choses mais on n’a pas le droit de ne rien faire et de le cacher sous le tapis. Il faut un accompagnement des harcelés mais aussi des harceleurs (2). Et de leurs parents. »

Le livre aborde aussi la manière dont chaque membre de la famille a vécu cela.

Marie-Frédérique : « Nous avons vécu la même chose mais pas de la même manière… Cela a été un moyen pour Gérard et sa fille de se retrouver. On a voulu aussi montrer que l’on est une famille comme tout le monde. »

On a l’impression que c’est moi qui vais déranger l’établissement en ayant des problèmes et que c’est à moi de partir pour régler ces problèmes.

Noémie Ejnès

Noémie : « On parle beaucoup de la relation qui a changé avec mon père. On devient différents au fil du livre. »

Ce livre pose aussi la question de l’utilisation et de l’impact des réseaux sociaux.

Noémie : « Il y a beaucoup de choses à dire… C’est compliqué. On ne peut pas le cacher, il y a des points négatifs, comme le harcèlement, les fake news… On ne peut pas nier aussi que cela a révolutionné beaucoup de choses, on a l’impression de pouvoir s’informer plus facilement. Après, cela a modifié les relations entre les personnes. Tu peux y trouver des gens formidables, mais aussi des personnes malsaines, comme cela a été mon cas. »

Avez-vous eu le sentiment de vivre une double peine ? La victime qui est obligée de quitter son établissement, à la différence des auteurs de harcèlement.

Noémie : « On a l’impression que c’est moi qui vais déranger l’établissement en ayant des problèmes et que c’est à moi de partir pour régler ces problèmes. Il y avait cette idée que personne ne devait être au courant, que c’était plus simple. »

Marie-Frédérique : « Tout est un peu la double peine, tout est compliqué… Nous sommes partis comme si nous étions coupables. Cela arrive même que les harcelés doivent déménager. Pour nous, c’était hors de question.

« Mais cela peut arriver partout, quel que soit l’établissement, quel que soit le milieu, à n’importe qui, à n’importe quel moment… On a eu la chance que Noémie soit venue nous parler, d’autres ne l’ont pas fait, avec une issue dramatique. Il faut aussi que les enfants trouvent quelqu’un pour les écouter. »

Noémie : « On a le besoin de parler, mais on nous laisse tout seuls. On nous dit d’en parler, mais quand on voit le résultat, pour mon cas, même si je ne regrette pas, c’est compliqué. »

Depuis la sortie du livre, avez-vous eu des retours ?

Noémie : « Sur les réseaux sociaux, j’ai eu beaucoup de retours. Et, malheureusement, beaucoup de personnes racontent qu’elles n’ont pas été aidées, qu’elles n’ont pas été soutenues. J’ai vu quelques commentaires négatifs, mais j’étais aussitôt défendue. Comme ce livre est mon témoignage, j’ai surtout reçu du soutien. »

Marie-Frédérique : « Ce qui me navre, c’est qu’on est une famille, on est entourés, on connaît du monde, on est passés par un député, mais comment font ceux qui n’ont pas cela ? Au départ, on a fait confiance au système, mais on n’a rien eu. Le livre nous a aussi aidés, pour avancer et en sortir plus forts. On a eu de la chance que Noémie ne passe pas à l’acte, elle est toujours en vie. Nous avons aussi les moyens financiers pour que Noémie soit suivie, tout le monde ne peut pas le faire, cela devrait être pris en charge. »

> « Noémie est en vie, une famille dans l’enfer du harcèlement scolaire », de Marie-Frédérique, Gérard et Noémie Ejnès, éditions Robert Laffont, 264 pages, 19 €.
> Le 16 janvier prochain, Noémie Ejnès va recevoir la médaille de l’Assemblée nationale en reconnaissance du « courage dont elle a fait preuve en acceptant de témoigner à visage découvert sur son harcèlement ».

(1) Gérard Ejnès a été reporter puis rédacteur en chef au sein de L’Équipe et du Parisien. Il est l’auteur d’une soixantaine de livres sur le sport.

(2) Une plainte a été déposée par la famille Ejnès contre les auteurs des faits.