Novak Djokovic est un champion clivant. Et il aime utiliser voire provoquer parfois l’hostilité des spectateurs pour donner le meilleur de lui-même. Mais ce vendredi en demi-finale de l’Open d’Australie, il a subi ce qu’aucun sportif de haut niveau ne devrait subir. En souffrance, il a non seulement dû jeter l’éponge à cause d’une déchirure à la cuisse gauche après un set face à Alexander Zverev, mais, crève-cœur absolu, il a aussi essuyé les huées des spectateurs qui lui ont reproché de ne pas aller jusqu’au bout.

Comment expliquer cette réaction outrancière ? Le public a sûrement été pris de court parce qu’il venait d’assister à un beau combat pendant 1h20 et que le Serbe n’avait pas utilisé de temps mort médical auparavant. Aurait-il dû au moins appeler le docteur sur le court pour préparer les esprits ? 

“Non, parce que Novak connaît son corps mieux que personne. C’est aussi simple que ça, l’a défendu Zverev en conférence de presse. Qu’est-ce que va faire un docteur ? Je sais de son équipe, parce que j’ai parlé avec eux après le match, qu’il était déjà sous anti-inflammatoires. Il sait que c’est une blessure qu’il a eue avant. Admettons qu’il appelle le docteur. Pour lui dire quoi, exactement ? De prendre plus de cachets ? A un certain moment, il y a aussi une limite en termes de quantité sur ce qu’on peut prendre.”

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Zverev : “S’il vous plait, ne sifflez pas un joueur qui abandonne, donc respectez Novak”

Video credit: Eurosport

On devrait arrêter de s’en prendre à Novak, personne n’a fait plus que lui pour ce sport
La relation de Djokovic avec le public australien est certes spéciale. Son refus voici quelques jours de faire l’interview d’après-match n’avait pas été compris sur le moment, les spectateurs ignorant qu’il réagissait alors à des propos tenus par un journaliste sur la chaîne australienne Channel 9. Les sifflets étaient déjà tombés des tribunes et ces antécédents n’ont sûrement pas joué en la faveur du Serbe. Mais qui peut sérieusement penser qu’on abandonne de gaieté de cœur en demi-finale de Grand Chelem ?

“On devrait arrêter de s’en prendre à Novak, a insisté Zverev. Novak a fait absolument tout ce qu’il a pu sur un court de tennis lors des 20 dernières années. Il a gagné ce tournoi avec une déchirure abdominale quand la majorité des joueurs ne peut même pas continuer à jouer. Il a gagné ce tournoi avec une déchirure à l’adducteur. Il est décuple champion. Je pense que nous devrions tous juste respecter ça, parce qu’il n’y a personne dans l’histoire de ce sport qui a gagné et fait autant que lui. Il n’y a rien à ajouter.”

Au manque de respect dû à cet immense champion, s’ajoute une méconnaissance des conséquences brutales et traumatisantes du sport de haut niveau sur les corps. Le public a évolué à Melbourne et il demande à être diverti avant tout, quitte à franchir allègrement les bornes.

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Une belle bagarre avant l’abandon : les images du set entre Zverev et Djokovic

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 Où sont passés le respect et les connaisseurs ?

“J’ai trouvé ça assez lamentable, même pire que ceux qui essaient de perturber les joueurs pendant le match, a déploré notre consultant Arnaud Clément dans l’Eurosport Tennis Club. Ce n’est pas tout le public bien sûr, mais siffler Novak Djokovic, c’est hallucinant. Il a été ironique dans sa manière d’applaudir les spectateurs évidemment, je pense qu’il ne comprend pas comment c’est possible. Les gens peuvent être déçus parce qu’ils n’ont pas vu un match entier et qu’ils ont payé leur billet, très bien, mais c’est aussi le sport. Et on a de moins en moins de connaisseurs de sport dans ce stade.”

Si l’on peut comprendre que certains cherchent à dépoussiérer l’image guindée du tennis et du respect traditionnel de l’étiquette par un public docile, certains excès ne peuvent être tolérés. Traiter ainsi l’un des protagonistes principaux de ce sport depuis deux décennies a quelque chose de pathétique. Djokovic était plus que dans son droit de saluer ironiquement les pouces levés des spectateurs indignes qui se sont comportés en enfants gâtés, incapables de gérer leur frustration.

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Le dernier Open d’Australie pour Djokovic ? “Il y a des chances, qui sait ?”

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Djokovic, lui, a fait preuve de classe et de retenue

“Novak Djokovic a tout vécu en Australie : ses plus grands succès comme une détention très compliquée il y a quelques années. Il a eu la force de revenir et on a vu d’ailleurs quand il a regagné l’émotion que ça représentait. Aujourd’hui, ce n’était pas un beau moment, loin de là, a également regretté Justine Hénin. On ne peut pas accepter qu’un joueur qui a donné et qui donne tellement à notre sport subisse ça.”

Et la quadruple championne à Roland-Garros d’ajouter : “On comprend que les gens veuillent voir un combat, mais à un moment donné, il faut apporter aussi de la nuance. On n’arrive plus à se détacher du moment. On a rappelé le peu d’abandons qu’il a eus en Grand Chelem, il a 37 ans. Je trouve que ce n’est pas du tout en lien avec le champion qu’il est et il a raison de réagir. Il fait partie de ces joueurs qui, heureusement, ne se taisent pas face à certains comportements.”