AboProcès à Bellinzone –

Les parents d’un djihadiste genevois à nouveau face aux juges

Dessin de tribunal montrant la mère d’un Genevois converti à l’islam, au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, assise à une table avec deux avocats.

En août 2024, la mère de Daniel D. a été interrogée par le Tribunal fédéral de Bellinzone.

KEYSTONE

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En bref:Le procès des parents de Daniel D. a repris ce vendredi à Bellinzone.Ils sont accusés d’avoir soutenu leur fils en lui envoyant de l’argent.Daniel D. est détenu dans un camp en Syrie depuis plus de cinq ans.

Le fils est parti combattre aux côtés du groupe État islamique (EI). Pourtant, ce sont les parents qui se retrouvent sur le banc des accusés du Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. Le Ministère public de la Confédération leur reproche d’avoir enfreint la loi interdisant les groupes Al-Qaïda/EI en versant plus de 50’000 francs à leur fils alors qu’il se trouvait en Syrie.

Leur procès s’est ouvert l’année passée en août, mais il avait dû s’interrompre. En raison d’un problème médical, le père n’avait pas pu être entendu par les juges. Son interrogatoire a repris donc ce vendredi à Bellinzone. Le verdict devrait tomber le 30 janvier.

Il s’agit du premier procès de ce type en Suisse. La grande question est de savoir si les transferts d’argent constituent un soutien au terrorisme ou si les parents voulaient uniquement aider leur fils, Daniel D., à se tirer d’une situation fâcheuse.

«Le Suisse le plus dangereux»

Âgé de 31 ans, le Genevois est détenu depuis plus de cinq ans dans des camps de prisonniers surpeuplés, au nord-est de la Syrie. Il y a peu de chances que la situation change. Les Kurdes aimeraient pourtant bien se débarrasser du trentenaire, tout comme de dizaines de milliers d’autres internés. Mais la Suisse et de nombreux autres pays refusent de reprendre leurs ressortissants partis faire le djihad.

À la fin des années 2010, Daniel D. était considéré par les autorités fédérales comme «le Suisse le plus dangereux». Cette description officieuse lui avait été attribuée en raison de son appartenance à une unité de l’EI qui planifiait des attentats en Europe, notamment en France, en Suisse ou encore en Allemagne.

L’unité en question, appelée «opérations externes», voulait notamment faire exploser un dépôt de pétrole à Bâle-Kleinhüningen (ndlr: sans savoir que les réservoirs avaient déjà été démontés) ainsi qu’une installation similaire à Vernier, près de Genève. Daniel D. et d’autres auteurs potentiels d’attentats ont été arrêtés par des miliciens de l’Armée syrienne libre (ASL) alors qu’ils tentaient vraisemblablement de se rendre en Turquie.

Caché dans un camion de fruits

Les parents ont versé la majeure partie de l’argent alors que Daniel D. était prisonnier de l’ASL. La somme a probablement servi de rançon au printemps 2019. Le Genevois a bel et bien été libéré peu après. Or en juin 2019, ce sont cette fois les forces de sécurité kurdes qui l’arrêtent, alors qu’il est caché dans un camion de fruits.

C’était un piège tendu par le Service de renseignement de la Confédération suisse (SRC) avec le soutien du Service de renseignement britannique à l’étranger (MI6). Le Genevois souhaitait libérer son épouse franco-algérienne et sa fille, alors même pas âgée d’un an, toutes deux prisonnières des Kurdes. Pour cela, il était entré en contact via internet avec deux personnes censées l’aider. Mais derrière leurs noms d’emprunt, Abu Bilal et Abu Jihad, se cachaient des agents suisses et britanniques, qui ont transmis leurs informations aux Kurdes.

«J’ai soutenu Daniel, pas l’EI»

Le SRC avait notamment mis sur écoute le téléphone portable de la mère pour empêcher un attentat en Suisse et dans d’autres pays européens. Ces écoutes à grande échelle ont révélé plusieurs choses: la façon dont Daniel D. reprochait à sa mère sa foi catholique et comment à plusieurs reprises il a réclamé de l’argent.

Au début, les parents lui ont fait parvenir de petites sommes. Puis, les montants sont devenus plus importants.

Pour soutenir financièrement son fils, la mère, une binationale helvético-espagnole, a même vendu un bien immobilier dans la péninsule Ibérique. Elle a également résilié son assurance vie.

«Je pense que s’il est en vie, c’est grâce à ces sous», a affirmé la mère, en août dernier, à l’ouverture du procès. Elle a décrit son fils comme étant «un enfant très doux, très câlin, adorable». Et d’ajouter: «J’ai soutenu Daniel, pas l’État islamique. Tout ce que je souhaite, c’est que mon fils me revienne.»

Radicalisé à 18 ans

Daniel D. a grandi dans des conditions modestes à Genève et a reçu une éducation catholique. Il s’est converti à l’islam à l’âge de 18 ans. Il a ensuite interrompu son apprentissage de maçon avant de se radicaliser. En 2015, à l’âge de 21 ans, il a rejoint l’EI. Son nom de guerre: Abu Ilias al-Swissri. Lors d’un combat, il a été blessé par un éclat d’obus, après quoi il a été hébergé dans la métropole de Mossoul en Irak.

Selon un rapport du FBI américain, il était prévu que Daniel D. se fasse exploser dans une voiture à Bagdad. Pour des raisons que l’on ignore, il n’est jamais passé à l’acte.

Cet été, un juge de Bellinzone a confronté la mère à des images montrant son fils armé devant des drapeaux de l’EI. Elle a également dû écouter des enregistrements dans lesquelles Daniel D. disait vouloir se faire exploser en Suisse. «Je ne sais pas. Ce n’est pas mon fils, a alors réagi l’accusée. Il a peut-être été menacé.»

Plus de 2000 djihadistes détenus

La chute du dictateur syrien Bachar el-Assad, fin 2024, pourrait désormais jouer en faveur des quelque 2000 combattants de l’EI capturés et des dizaines de milliers de femmes et d’enfants internés dans le nord-est du pays. Les Kurdes, qui y ont établi un territoire autonome, sont soumis à une forte pression militaire de la part de la Turquie. Ils se voient donc contraints de retirer les forces de sécurité des prisons et des camps pour les envoyer au front. Outre Daniel D., deux autres djihadistes romands sont détenus par les Kurdes. Une Lausannoise et sa fille sont également internées dans un camp.

En 2019, le Conseil fédéral a décidé de ne pas soutenir les renvois de personnes retenues sur place. «L’objectif premier est la sécurité de la Suisse et la protection de sa population, qui passent avant des intérêts individuels», avait-il fait savoir dans un communiqué de presse. La Confédération n’apporte son aide qu’en cas de retour d’enfants. En 2021, les autorités fédérales ont ainsi rapatrié les deux filles d’une djihadiste genevoise. Leurs pères vivaient alors en Suisse. Leur mère a dû rester sur place.

Petite victoire

Il y a tout juste un an, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a fait savoir à l’avocat de Daniel D. qu’il était en bonne santé et qu’il était suivi médicalement pour une ancienne blessure de combat et des problèmes respiratoires. Une visite par un représentant des autorités suisses ne serait en revanche pas possible. Divers journalistes suisses ont quant à eux pu l’interviewer sur place à plusieurs reprises. Le Genevois, amaigri, en a profité pour se plaindre des conditions de détention misérables.

Par l’intermédiaire de son avocat bernois, il a désormais pu obtenir une petite victoire juridique. Dans une décision rendue publique peu après Noël, le Tribunal fédéral a reconnu que le DFAE avait commis un retard injustifié en repoussant une demande de protection consulaire de Daniel D. Le Tribunal fédéral exige désormais que «les affaires soient traitées avec diligence».

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