De passage à Monaco pour une conférence sur les perspectives économiques mondiales 2025, Mathilde Lemoine, spécialiste en macroéconomie et responsable du pôle économique du Groupe Edmond de Rothschild, a répondu à quelques questions quant à l’avenir de l’Europe.

L’Europe est-elle menacée par les États-Unis de Donald Trump?

Depuis le 1er mandat de Trump, les États-Unis ont fait le choix de la croissance pour revenir sur la scène internationale. Avec un plan de baisse d’impôts massif, des plans de relance successifs et nombre d’investissements. Et on a découvert leur capacité à produire, à se développer. Aujourd’hui, ils ont retrouvé la place qu’ils occupaient dans les années 80 dans le PIB mondial, c’est-à-dire qu’ils produisent 26% des richesses mondiales. Dans le même temps, l’Union européenne a chuté de 29 à 17%.

Comment faire de la croissance?

Relocaliser les entreprises, soutenir leurs investissements, produire nationalement des produits habituellement fabriqués en Chine, investir dans les pays d’Asie. Tout ceci participe à la croissance, et par ricochet, à la souveraineté de chaque pays.

Tout à l’air si simple et sensé. Pourquoi ça coince?

Parce qu’il n’y a pas de consensus. Je travaille depuis trente ans sur l’importance de la formation et de l’éducation sur la croissance et la cohésion sociale. Malheureusement, nos formations sont inadaptées, nous avons abandonné les jeunes pendant la Covid, notre taux de formation des plus de 45 ans est parmi les plus faibles d’Europe alors que l’âge de départ à la retraite est repoussé. Nous nous privons d’une source de pouvoir d’achat, de réduction des inégalités et d’innovations vertes considérable. Pourquoi ? Parce que la politique économique poursuit une logique court-termiste et comptable. Il n’y a pas de plan économique avec un objectif à cinq ans et des objectifs intermédiaires qui permettrait de connaître l’impact des mesures mises en œuvre. De plus, le vieillissement de la population plombe les perspectives de développement… Sans action volontariste, la déconnexion de la France et de l’Union européenne du reste du monde va s’amplifier.

Quels sont les freins à la croissance européenne?

Le principal est l’incertitude générale. On voit que la simple menace de l’augmentation des droits de douane américains a déjà un impact négatif comme la remontée du taux d’épargne et des reports d’investissements.

La hausse des droits de douane en tant que telle aura un effet sur la demande : qui dit hausse des droits de douane dit hausse des prix et déstabilisation de l’offre. Car les coûts de production seront plus élevés pour certaines entreprises. Et puis, il y a ce paradoxe: les États-Unis vont très bien donc ils vont attirer les investisseurs, ce qui pourrait déprécier l’euro.

Quels enjeux pour l’Europe dans les prochaines années?

Trouver une priorité. Si l’on veut rester ambitieux en termes d’engagement climatique et de cohésion sociale, pour avoir une croissance soutenable, il n’y a pas 50 solutions. Il va falloir baisser le coût de l’énergie pour les entreprises, ce qui va leur permettre d’être plus compétitives – le gaz est cinq fois moins cher aux États-Unis –, et en même temps, il faut baisser fortement le coût de leurs investissements, en particulier s’ils portent sur la transition énergétique. Dans ces conditions, les investisseurs se tourneront davantage vers l’Europe. On pourrait aussi imaginer un programme européen (comme on l’a fait pour financer le chômage partiel pendant la Covid) qui financerait un crédit d’impôt pour les entreprises qui investiraient puisque le stock d’investissement est trop faible. Il serait encore plus incitatif s’il permettait de décarboner. L’Europe est prise en sandwich entre les États-Unis, attractifs et compétitifs sur ce sujet et la Chine qui, avec des coûts de main-d’œuvre faibles et des investissements massifs dans l’innovation, exporte ses batteries et autres véhicules électriques vers l’Europe. Que fait l’Europe à part se transformer en pays vieillissant qui mise sur le tourisme et importe des produits technologiques du reste du monde? Et avec l’intelligence artificielle qui va prendre de plus en plus de place, très consommatrice d’énergie, il faut vraiment que l’Europe mise là-dessus.

Quelles perspectives de croissance?

En 2025, la croissance mondiale va ralentir. On parle de détérioration. En Europe, il y aura une confirmation de la déconnexion avec une faible croissance, autour de 0,6 %, là où les États-Unis atteindront 2,1 % et la Chine, 4,7 %. Notre politique monétaire est coincée derrière celle des États-Unis, c’est pourquoi le moyen de s’en sortir pour l’Europe est la politique budgétaire. Avec, comme priorité, réduire sa dépendance énergétique, appuyer les investissements des entreprises autour de la transition énergétique. C’est la clé pour entrer dans la danse de la compétitivité, donc, de la souveraineté économique.


Sur ce graphique, on voit bien que la dépendance énergétique de l’Europe (vert) est bien plus élevée que celle des Etats-Unis ou de la Chine. DR.

De l’importance du capital humain

Dans cette quête de croissance économique, de souveraineté, la macro-économiste Mathilde Lemoine, alerte sur le fait que le capital humain ne doit pas être mis de côté. Avec l’enjeu crucial de la formation des salariés. Elle rappelle qu’en France, “une enquête a démontré la dégradation des compétences des adultes à partir de 30 ans et jusqu’au départ à la retraite, une dégradation anormale par rapport aux autres pays de l’OCDE. On ne sait pas accompagner les salariés dans la montée en compétences. Avec les bouleversements technologiques que l’on sait et le rôle que joue de plus en plus l’intelligence artificielle, il faut se mobiliser car ce manquement pourrait nous coûter cher en termes de croissance. Il faudrait repenser nos politiques d’accompagnement, au niveau national, et non plus régional.”

Montée de la cryptomonnaie: Quel risque?

Le développement erratique des cryptomonnaies fait peser un risque sur la stabilité financière. Les particuliers sont potentiellement les premières victimes. Le cours de certaines crypto devises monte mais d’autres disparaissent. Selon le Fonds monétaire international (FMI), il ne reste que 9 000 cryptoactifs sur les 16 000 cotés dans différentes Bourses ! Le nouveau président américain a fait bondir les cours en vantant « ce miracle technologique qu’est le bitcoin » et a lancé sa propre crypto. Mais l’enjeu pour les Américains est de garder le leadership en matière de technologie financière. Les cryptos sont aussi une question de souveraineté puisque Donald Trump veut créer une réserve stratégique de bitcoins. D’ailleurs, l’adoption généralisée des crypto actifs va accentuer la dollarisation de l’économie mondiale. Ce qui va à l’encontre de ce que souhaitent les pays émergents ! C’est pourquoi le régulateur américain des marchés financiers a lancé un cadre réglementaire pour les crypto-actifs et Trump a créé un groupe de travail sur les actifs digitaux. Les Américains veulent faire de cet objet de spéculation un produit d’investissement et d’innovation technologique. L’Europe, elle, est à la traîne.