Le président Zelensky a fait cette concession suite à la pression de la Slovaquie et de la Hongrie, qui, jusqu’au 31 décembre, recevaient des milliards de mètres cubes de gaz russe transitant par l’Ukraine.
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, du gaz russe continuait de transiter vers l’Europe, en dépit des sanctions occidentales. Et ce via… le territoir ukrainien. De janvier à novembre 2024, pas moins de 12 milliards de mètres cubes de gaz russe ont transité par l’Ukraine pour alimenter trois Etats européens, l’Autriche, la Slovaquie et la Hongrie. Ce transit, fruit d’un contrat entre les sociétés ukrainienne Gazprom et russe Naftogaz, a définitivement pris fin le 31 décembre 2024, à la faveur de l’expiration d’un contrat que le président Zelensky n’a pas renouvelé, expliquant refuser que Moscou «gagne des milliards supplémentaires sur notre sang».
Depuis lors, Bratislava et Budapest, deux régimes proches du Kremlin, faisaient pression sur Kiev pour maintenir l’approvisionnement. C’est au Forum de Davos que Volodymyr Zelensky a trouvé une alternative. Samedi, lors d’une conférence de presse conjointe avec le président moldave Maia Sandu, le président ukrainien a annoncé avoir «discuté» en Suisse avec le président azerbaïdjanais Ilham Aliev et s’être accordé sur la possibilité d’un partenariat avec l’ex-république soviétique du Caucase, au régime peu démocratique mais au territoire riche en hydrocarbures.
L’Azerbaïdjan a une production actuelle «très importante» a souligné Volodymyr Zelenskyk, citant environ 40 milliards de mètres cubes dont les Azéris ne consommeraient eux-mêmes que 14 à 15 milliards. Ainsi, sa «capacité d’exportation est de 25 milliards de mètres cubes», a-t-il calculé. «Nous avons discuté de la possibilité d’exporter via l’Ukraine», et Bakou «pourrait utiliser notre infrastructure si d’autres pays d’Europe de l’Est en avaient besoin», a déclaré Volodymyr Zelensky.
Revirement
Un revirement de la part Kiev. Depuis des mois, la Slovaquie évoquait cette possibilité de partenariat énergétique avec l’Azerbaïdjan. Mais le président Zelensky avait constamment écarté cette éventualité, objectant la forte probabilité que le gaz azéri vienne en réalité… de la Fédération de Russie. La pression de Bratislava était telle que le président ukrainien, fin décembre, accusait le premier ministre slovaque Robert Fico d’ouvrir un «second front énergétique» contre l’Ukraine sur ordre de la Russie. Volodymyr Zelensky affirmait avoir expliqué à Robert Fico que s’il s’adressait à un autre pays, il refuserait l’idée que ce pays «reçoive du gaz de Russie et fasse ensuite transiter ce gaz». Le dirigeant slovaque avait rétorqué en menaçant de réduire la livraison d’électricité à destination de l’Ukraine (face à la destruction de ses sites énergétiques, Kiev est contraint de se fournir chez ses voisins et reçoit 19% de son électricité de la Slovaquie). Quant au Hongrois Viktor Orbán, il a menacé de mettre son veto au renouvellement des sanctions de l’UE contre la Russie si Kiev n’acceptait pas de fermer les yeux sur l’origine du gaz.
«Nous ne laisserons pas les Russes gagner, a appuyé samedi le président Zekensky. Et laisser les Azerbaïdjanais gagner ? Avec plaisir. Aider les Slovaques ? Avec plaisir. C’est ce que nous pouvons faire rapidement», a déclaré le chef d’État ukrainien.
Les observateurs du secteur énergétique, pour leur part, estiment évident que l’Azerbaïdjan ne dispose pas à lui seul d’un volume de gaz suffisant pour approvisionner des pays tiers. «Tout le monde comprend que l’Azerbaïdjan ne dispose pas gratuitement de 12 à 14 milliards de mètres cubes de gaz», a déclaré aux médias ukrainiens l’ancien directeur général de l’Opérateur du système de transport de gaz d’Ukraine (GTS), Serhiy Makogon. «Autrement dit, ce sera le même gaz russe, mais déguisé comme étant du gaz azerbaïdjanais». Même analyse d’Aura Sabadus, experte en marchés gaziers auprès du cabinet londonien ICIS, qui a relevé auprès de Politico que les Azéris n’avaient «pas la capacité de production nécessaire» et qu’un tel accord avec Bakou impliquerait très probablement un transit de ressources russes sous étiquette azerbaïdjanaise.
L’Europe, premier client de Bakou
En octobre également, le think tank économique Bruegel, basé à Bruxelles, évoquait le scénario possible d’un remplacement par Kiev du gaz russe par le gaz azéri, en notant les conséquences : «La Russie continuerait à fournir du gaz (étiqueté “gaz azerbaïdjanais”) à l’Ukraine, tandis que l’Azerbaïdjan recevrait du gaz de Russie (étiqueté “gaz russe”). En d’autres termes, il n’y aurait aucun changement dans les flux de gaz : les négociants de l’UE achèteraient du gaz à l’Azerbaïdjan, qui achèterait du gaz à la Russie».
L’Union européenne elle-même, après s’être fixé pour objectif de mettre un terme à toutes les importations de gaz russe d’ici 2027, a choisi de se tourner vers le partenaire azéri. Quitte à fermer les yeux sur l’origine du produit et au prix de toute cohérence dans la sanction de régimes voyous. L’Azerbaïdjan est devenu l’un des fournisseurs de substitution de l’UE depuis qu’en juillet 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a signé avec le président Ilham Aliev un accord pour une hausse graduelle des volumes de livraisons vers le Vieux Continent. L’accord, qui a fait de l’Azerbaïdjan un «partenaire clé dans nos efforts pour abandonner les combustibles fossiles russes» selon les termes d’Ursula von der Leyen, prévoit de passer de 12 Mds de mètres cubes de gaz livrés en 2022 à près de 20 Mds m3 en 2027, faisant des Vingt-Sept les premiers clients de la république caucasienne.