Par temps froid et brumeux, mercredi 5 février, au petit matin, un Atlantique 2 prend son envol depuis la base aéronavale de Lann-Bihoué, à Lorient. Taillé pour la surveillance maritime, cet aéronef bourré d’électronique est intégré à « Baltic Sentry », une opération lancée en urgence, mi-janvier, par les pays riverains de la mer Baltique, membres de l’Otan.
L’objectif : renforcer la présence militaire de l’organisation pour protéger les infrastructures maritimes stratégiques de la région. Notamment les câbles sous-marins et les gazoducs, régulièrement visés par des actes de sabotage.
Détecter les comportements suspects
Ce jour-là, dix-huit marins de la 21e flottille ont pour mission de détecter les comportements suspects en Baltique et, le cas échéant, de renseigner l’état-major de l’Otan pour permettre une intervention en mer. La mission revêt aussi un caractère dissuasif. « L’Atlantique 2 est un couteau suisse pour les opérations aéronavales », glisse le capitaine de corvette Romain, depuis le cockpit de l’appareil. « Nous nous concentrons sur ce que nous voyons en temps réel, en croisant les renseignements récoltés avant notre départ », détaille, avec flegme, le gradé.
À 11 h, après avoir franchi l’espace aérien allemand, l’avion survole alors les eaux internationales de la Baltique. Dans une allée centrale plongée dans l’obscurité, les marins de l’aéronavale sont concentrés sur leurs postes. Les immatriculations des cargos et des tankers repérés au radar sont vérifiées. Alors qu’il longe les côtes polonaises, l’aéronef fait cap vers l’Est et se rapproche du cheval de Troie de Moscou en Europe : l’enclave de Kaliningrad.

Deux nouveaux patrouilleurs russes sont photographiés à l’aide d’une boule optronique (caméra infrarouge.) La manœuvre se fait à bonne distance. Il vaut mieux. Deux semaines auparavant, lors d’une mission similaire, l’Atlantique 2 a subi une tentative de brouillage avant d’être éclairé par un radar de conduite de tir d’un système de défense aérienne russe S400. Un comportement agressif – qui revient à pointer le laser de son fusil sur le front de quelqu’un – sans être pour autant exceptionnel.
À proximité de ses côtes, Moscou montre ses muscles face aux marines occidentales qui ont, d’ores et déjà, transformé la Baltique en un lac de l’Otan, depuis l’intégration de la Suède et de la Finlande. Qu’importent les menaces, à bord de l’Atlantique 2, les consignes n’ont pas bougé d’un iota, assure le chef de bord : « On reste à distance suffisante. Pas de démonstration de force, ni de démarche d’escalade », affirme le lieutenant de vaisseau Nicolas. Après un deuxième passage autour de Kaliningrad, ce dernier fait cap vers le golfe de Finlande.
Flotte fantôme et sabotages
La tension y est d’autant plus forte que, samedi, les trois pays baltes doivent couper leurs liens avec le réseau électrique russe, et, de facto, renforcer leur intégration au système européen. Le 25 décembre, le câble électrique Estlink 2, transportant de l’électricité de la Finlande vers l’Estonie, a été sectionné, ainsi que quatre autres câbles de télécommunications. Un tanker russe, l’Eagle S, a été intercepté par la marine finlandaise, et une enquête est en cours. Le navire soupçonné d’être responsable de l’incident appartient à la « flotte fantôme » de la Russie. Ces pétroliers qui opèrent clandestinement pour contourner les sanctions internationales sont aussi des instruments de guerre hybride. Après le sabotage d’Estlink 2, d’autres sont redoutés.
Et, justement, vers 13 h, un cargo attire l’attention des marins : l’Honever Monrovia. Ce navire, qui navigue sous pavillon du Libéria, a coupé son transpondeur et ne répond pas aux appels radios. « Ce comportement le rend immédiatement suspect », souffle le capitaine de corvette Romain. Le pilote descend rapidement à travers une mer de nuages et se retrouve le nez dans le brouillard, à 100 mètres du niveau de la mer. Le cargo suspect est survolé plusieurs fois. Des photos sont prises par le nez vitré de l’appareil et à l’aide de la caméra infrarouge.
L’équipage ne peut rien faire de plus. L’information est aussitôt transmise par radio à un Boeing P-8 Poseidon de la marine anglaise qui patrouille dans la zone. Si besoin, la Croix du Sud pourra prendre le relais. Ce bâtiment français chasseur de mines navigue en ce moment dans le secteur, équipé d’un robot sous-marin et de plongeurs. L’Atlantique 2 fait demi-tour, direction Lorient. L’aéronavale reviendra patrouiller dans cette zone à risque d’ici quelques jours.