Si vous deviez choisir le plus bel endroit pour amarrer votre maison flottante le temps des vacances, ce serait peut-être bien ici, dans cette baie cachée sur les bords de la Baltique, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Helsinki, dans un décor de rochers et de pins à couper le souffle. Les neuf hommes présents sur le bateau, qui en sont à leur cinquième semaine à bord, ne font cependant pas grand cas du paysage. Eux ne sont pas là en vacances, et leur vue sur l’horizon est de toute façon barrée par un navire des gardes-côtes finlandais qui s’est planté là pour les empêcher de partir.
Leur Eagle S n’est pas une péniche aménagée non plus, mais un pétrolier de 230 mètres de long qui, le 25 décembre, en laissant traîner une ancre au fond de la mer, a rompu le câble EstLink 2 qui, depuis la Finlande, alimente l’Estonie voisine en électricité. La police locale les soupçonne d’avoir agi délibérément, et c’est pourquoi elle a interdit à neuf des vingt-quatre membres de l’équipage de quitter le pays avant la fin de l’enquête.
Depuis cette affaire, l’Eagle S, qui transporte une cargaison de pétrole depuis la Russie vers la Turquie tout en battant pavillon des Îles Cook, est devenu le navire le plus célèbre de ce qui est appelé la “flotte fantôme russe”. Une flotte que Moscou utilise essentiellement pour contourner les sanctions occidentales sur ses exportations de pétrole et de gaz, et dont certains navires sont manifestement déployés pour des opérations de sabotage et de terrorisme contre l’Europe. La décision de la Finlande d’immobiliser le tanker pour mener une enquête est généralement considérée en Occident comme une réaction courageuse dans cette guerre “hybride”. Preuve de cette reconnaissance, des touristes curieux venus des quatre coins de la Finlande pour voir de leurs propres yeux la fermeté en pratique de leur gouvernement.
Des actions de sabotage de plus en plus fréquentes
À une centaine de kilomètres de là, sur l’autre rive du golfe de Finlande, en Estonie, trois navires de guerre de l’Otan sont ancrés spécialement pour l’Eagle S. En raison de l’épais brouillard froid et humide qui enveloppe le port de Tallinn, on les distingue cependant à peine. L’un des marins vient me chercher à l’endroit convenu près de la jetée et me conduit jusqu’au pont de la frégate Tromp de la marine royale néerlandaise. “Vous savez pourquoi il s’appelle comme ça ?” me demande le commodore Arjen S. Warnaar, un homme de 61 ans au visage taillé à la serpe. “Maarten Tromp était l’un de nos célèbres chefs de guerre au XVIIe siècle. Il a combattu en mer pour que les navires marchands puissent y naviguer sans être menacés. Il était très sensible à la question de la liberté et il est mort en la défendant. Je vois un lien entre ce pour quoi il luttait à son époque et ce que nous faisons ici.”
Le commodore ne théorise pas seulement. Il énumère les actions de sabotage de plus en plus fréquentes des tankers qui, sous pavillon de différents pays exotiques et en dépit des sanctions, exportent de grandes quantités de pétrole, de gaz et autres produits depuis Saint-Pétersbourg et Oust-Louga, un autre port russe, sur les eaux de la mer Baltique – principalement vers l’Asie –, afin que Vladimir Poutine puisse financer la guerre en Ukraine. Et à ces traversées de la Baltique, les pétroliers ont ajouté une activité terroriste l’année dernière, en jetant leurs ancres dans les eaux peu profondes du plateau continental, qu’ils laissent ensuite traîner sur des dizaines de kilomètres sans autre intention que d’endommager les infrastructures de télécommunications qui relient les États baltes à la Finlande ou à la Suède.
“Dissuader d’autres attaquants potentiels”
Les Russes rejettent les accu