Le marché européen repose sur un équilibre entre libre concurrence et protection sociale. Des disparités en matière de conditions de travail, de protection sociale entre les États membres créent des distorsions qui fragilisent l’unité de l’Union. L’Union reste contrainte par les limites de ses compétences. Pour qu’elle demeure un véritable moteur de progrès, il est nécessaire d’assurer un équilibre entre harmonisation nécessaire et respect des compétences et spécificités nationales.

L’Avocat général devant la Cour de justice de l’Union européenne vient de considérer que la directive européenne de 2022 sur les salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne devait être annulée. Saisie par le Danemark, rejoint par la Suède, ces États considèrent que cette directive outrepasse les prérogatives de l’Union qui excluent explicitement les rémunérations.

Le salaire minimum est fixé par la négociation collective dans cinq États membres de l’Union – dont ceux-ci, l’Italie et l’Autriche – et cela mérite l’attention. Cet empiètement sur les compétences des États constaté par l’Avocat général – qui ne préjugent pas de la décision définitive du juge européen à venir – mérite d’être souligné car il est révélateur d’une Europe sociale qui a des difficultés à s’affirmer.

Après avoir voulu transformer de fait en salariés la plupart des travailleurs indépendants des plateformes, niant le mécanisme de négociation collective que la France met en œuvre pour préserver ce travail indépendant tout en promouvant la mise en place de garanties sociales, l’Union européenne a maladroitement abordé la question des salaires minima.

Pour renouer avec une ambition sociale réelle, il est nécessaire d’appliquer une vraie subsidiarité sociale.

Il faut aussi rappeler la place croissante d’une jurisprudence européenne qui influence largement notre droit en l’absence de réelle action des États et du Parlement. L’impossibilité de réviser la vieille directive sur le temps de travail se traduit par un record de nombre d’arrêts sur ce sujet, atteignant la centaine. Ces arrêts sont parfois contestables comme ceux concernant l’obligation d’accorder des congés payés à un travailleur malade ou encore ceux ouvrant une brèche dans l’inapplicabilité aux forces armées de la durée maximale du travail de 48 heures.

Dans un contexte où l’intitulé Emploi avait disparu du portefeuille d’un commissaire, la Roumaine Roxana Mînzatu étant en charge à l’origine des personnes, compétences et de l’état de préparation (sic), les Droits sociaux et les emplois de qualité ayant été opportunément ajoutés, ces cafouillages interrogent et appellent à une nouvelle ambition.

L’Union européenne a été forte lorsqu’elle a mis en place via un emprunt européen un plan de relance qui a levé des milliards d’euros et permis par exemple en France de financer la moitié du plan « Un jeune, une solution ». Elle est forte lorsqu’elle instaure un IA Act adapté et souple. Mario Draghi appelle à renouer avec le volontarisme pour que l’Europe soit compétitive. Il faudra pour cela être agile et volontariste, comme il le demande, et que le principe de subsidiarité soit respecté. Ce principe suppose d’agir au niveau européen lorsque cela est plus efficace qu’une action au niveau de chaque Etat.

Pour renouer avec une ambition sociale réelle, il est nécessaire d’appliquer une vraie subsidiarité sociale. Cela supposerait de conserver un socle de droits fondamentaux garantis en matière sociale dans des directives et règlements, droit par droit, sur le fondement par exemple du socle européen des droits sociaux. L’ambition européenne sur tout le reste en matière sociale serait renforcée par le fait de l’apprécier globalement. Un État, dont les standards sociaux sont élevés dans plusieurs domaines, pourrait ainsi ne pas appliquer certaines prescriptions du droit européen situées en dehors du socle minimal. Il en résulterait une désinhibition permettant d’avancer vers plus de progrès.

L’Union européenne incarne une protection essentielle pour faire face aux dérèglements économiques du monde, d’autant plus lorsque de nombreux acteurs qui font fi du droit international. Croire en l’Europe – une Europe indépendante qui s’affirme, une Europe compétitive – c’est la vouloir agile et pragmatique, ambitieuse, renouvelant ses modes d’action.

Franck Morel et Xavier Fournier