Mise au point a rencontré Rougui Sow, une Sénégalaise ayant grandi en Suisse et dont l’enfance a été partagée entre le Tessin et son pays d’origine, où elle a été renvoyée après s’être installée en tant qu’assistante médicale. La jeune femme a dû persévérer plusieurs années avant d’obtenir un visa lui permettant de revenir temporairement en Suisse.

Née dans un petit village en bordure du Sahel, Rougui Sow semblait avoir un avenir tout tracé. Séparée très jeune de ses parents qui n’avaient pas les moyens de s’en occuper et déscolarisée, elle a été ballottée d’un foyer à l’autre comme domestique.

Alors qu’elle était déjà promise à un mariage arrangé, son destin bascule à dix ans après la rencontre avec Carla et Silvano Mossi, engagés dans des actions humanitaires dans la région. Avec l’accord du village et de la famille biologique, le couple fait la promesse de lui offrir une nouvelle vie en Suisse et de l’élever comme leur propre fille.

Rougui était tout à fait intégrée et voyait sa vie ici au Tessin

Stefano Balestra, un ancien collègue de Rougui

Vingt ans plus tard, Rougui Sow se remémore les souvenirs de sa vie au Tessin. “J’ai fait ma primaire et toute ma formation professionnelle là-bas. Je suis assistante de cabinet médical. […] C’est une partie importante de moi”, confie la jeune femme dans l’émission Mise au point, qui l’a rencontrée à Dakar.

Expulsée après plusieurs années

Au-delà de sa carrière, la Suisse représente également un foyer pour la Sénégalaise, qui se rappelle, émue, de ses parents adoptifs: “Mon adolescence, les bêtises d’enfance, les grosses décisions que j’ai dû prendre lorsque j’attendais ma fille… C’est avec eux que j’en discutais, ils ont été les premiers informés. J’ai un amour inconditionnel pour eux”, détaille-t-elle.

Rougui (à droite) avec ses parents Carla et Silvano Mossi (au centre) lors d'un repas. Rougui (à droite) avec ses parents Carla et Silvano Mossi (au centre) lors d’un repas.

Rougui a passé une grande partie de son enfance baignée dans le dialecte tessinois, tout en continuant à faire des allers-retours au Sénégal. A l’âge adulte, elle s’est définitivement installée dans la vallée Morobbia pour poursuivre ses études.

Mais en 2015, après avoir soigné pendant plusieurs années la patientèle tessinoise, un courrier l’informe qu’elle a 30 jours pour quitter le pays. Pour sa famille, ses amis et ses collègues, c’est un choc. “C’est comme si elle avait dû fuir et tout laisser rapidement”, raconte Fabi Rovere Balestra, qui travaillait dans le même hôpital.

En 30 jours, j’ai tout laissé: le boulot, la maison, mon quotidien, toute ma vie…

Rougui Sow

“La directrice de l’hôpital s’était engagée pour faire en sorte que les autorités reviennent sur leur décision. Rougui était tout à fait intégrée et je pense qu’elle voyait sa vie ici”, ajoute Stefano Balestra, lui aussi un ancien collègue.

“Recommencer à zéro”

Lorsque son père d’accueil est décédé il y a trois ans, Rougui Sow a voulu se rendre en Suisse. Sa demande de visa a toutefois été refusée, les autorités justifiant leur décision par un manque de fiabilité des informations relatées et “des doutes quant à [sa] volonté de quitter le territoire avant l’expiration du visa”.

Obtenir un visa, même temporaire, s’est révélé être un véritable défi pour la Sénégalaise. Il lui a fallu redéposer un dossier et trouver les mots justes face à une administration méfiante. Au terme de plusieurs mois de démarches, la nouvelle demande est acceptée. Un succès qui lui a permis, après dix ans d’exil, de retourner en Suisse et de réunir trois générations — sa mère Carla, sa fille Nour et elle — sur un sol longtemps interdit.

Rougui Sow, adolescente, lors d'une course en Suisse. Rougui Sow, adolescente, lors d’une course en Suisse.

“Cela fait presque trois ans que j’attends ce moment […] pour faire mon deuil. C’est dur d’arriver à la maison alors qu’il n’est pas là”, témoigne Rougui, de retour au Tessin, devant les caméras de la RTS. “Je suis partie d’une manière qui n’est pas belle du tout. En 30 jours, j’ai tout laissé: le boulot, la maison, mon quotidien, toute ma vie… Et j’ai dû recommencer à zéro dans un pays que je ne connaissais pas comme la Suisse à l’époque.”

Au moment de la séparation et du retour vers le Sénégal, la mère de la jeune femme est particulièrement triste. “Cette fois, cela me fait mal, car je sais que c’est la dernière fois que je la vois parce qu’elle ne peut pas venir ici [facilement] et moi, je ne peux plus aller au Sénégal”, confie Carla. “Et puis il y a l’âge: aujourd’hui, je suis vivante, mais demain, je ne sais pas.”

Reportage TV: Magali Rochat et Nicolas Haque

Article web: Isabel Ares