Enseignante jugée pour avoir harcelé Evaëlle : pour sa hiérarchie, il était « important de la soutenir »
by GonzagueFromNevers
Enseignante jugée pour avoir harcelé Evaëlle : pour sa hiérarchie, il était « important de la soutenir »
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Lyes C. était le principal du collège Isabelle-Autissier, à Herblay-sur- Seine (Val-d’Oise) au moment où la jeune fille y était scolarisée. Comme son successeur, il n’est pas intervenu à l’encontre de la professeure malgré de nombreuses alertes.
Au premier jour du procès de la professeur d’Evaëlle devant le tribunal correctionnel de Pontoise, les juges ont pu observer comment l’institution scolaire avait réagi au harcèlement de la collégienne âgée de 11 ans. Le 21 juin 2019, elle avait mis fin à ses jours chez elle par pendaison, après une année marquée par un harcèlement particulièrement intense. Deux élèves doivent en répondre ultérieurement devant le tribunal pour enfant, mais ce lundi 10 et mardi 11 mars, c’est sa professeure de français qui siège sur le banc des prévenus pour des faits de harcèlement.
Lyes C., était le principal du collège Isabelle-Autissier, à Herblay-sur-Seine (Val-d’Oise) cette année-là. Entendu comme témoin, contrairement à Pascale L. qui n’a pas été auditionnée aujourd’hui, il a été averti dès le mois de novembre 2018, lors d’une réunion avec des parents, du comportement harcelant de Pascale L. à l’égard d’Evaëlle. « Je suis sous le choc. Je ne m’attendais pas à ça », relate-t-il. L’enseignante semble avoir fait une fixation sur le classeur d’Evaëlle, qu’elle utilisait à la place de cahiers (c’est une demande d’un médecin pour alléger son cartable suite à une blessure à la cheville).
« L’enseignant est maître de sa classe », défend le principal
Des rendez-vous avec l’enseignante et les parents permettent de mettre un terme à cette situation. La présidente du tribunal évoque le fait que Pascale L. aurait volontairement relégué Evaëlle au fond de la classe. Lyes C. se dit incompétent dans ce domaine. « Il faut comprendre que les enseignants ont une liberté pédagogique. L’enseignant est maître de sa classe », explique-t-il.
Evaëlle s’est pendue à son domicile d’Herblay-sur-Seine en juin 2019. Son ancienne professeure de français est aujourd’hui sous contrôle judiciaire et ne peut plus enseigner à des mineurs. LP/Olivier Corsan
En décembre, il est interpellé par une fédération de parents d’élève qui s’indigne du comportement de Pascale L. Là encore, les signalements n’auront pas d’effet. Lyes C. étudie la situation, le parcours de l’enseignante et conclut qu’il n’y avait pas lieu d’agir. « Je peux témoigner qu’elle était tout à fait dans la norme en matière de sanction », assure-t-il. Il admet qu’il n’a jamais assisté à ses cours mais que sa salle de classe avait généralement la porte ouverte. « Jamais je ne l’ai entendue crier », ajoute-t-il.
Il se souvient que les professeurs avaient mal vécu cette mise en cause d’une de leurs collègues. Devant le tribunal, il a reconnu qu’il avait cherché à protéger l’enseignante. « En 2018, il y avait eu trois enseignants qui avaient mis fin à leurs jours. Il me paraissait important de la soutenir, pour ne pas que ça lui arrive », justifie-t-il.
Les élèves qui s’en prenaient à elle pas sanctionnés
C’est peu avant Noël qu’Evaëlle fait une première tentative de suicide. Avec ses parents, elle évoque 14 collégiens qui l’agressent, l’insultent, la violentent régulièrement. Il propose aux parents de mettre en place la méthode Pikas, qui vise à transformer les harceleurs en acteurs positifs. Seuls deux enseignants sont volontaires pour s’y former, ce qui sera fait le 21 janvier 2019. Au moment de sa mise en œuvre, le harcèlement est trop enraciné pour que cette méthode soit efficace.
La suite l’a confirmé. Peu de temps après, Evaëlle est violemment agressée à deux reprises par des élèves. Là aussi, aucune sanction n’a été prononcée. « J’ai bien mené une procédure disciplinaire mais il faut avoir des preuves », souligne-t-il. Il avoue n’avoir pu récolter que deux témoignages à des dates qui ne correspondaient pas. « Je me suis dit : ça ne tiendra pas devant un conseil de discipline », déplore-t-il. Les élèves ne seront exclus que l’année suivante pour utilisation d’une arme factice et vol en réunion.
Même attentisme quand, en février, l’enseignante aurait consacré deux fois des « heures de vie de classe » au harcèlement d’Evaëlle. La collégienne aurait dû répondre aux questions de toute la classe et dire pourquoi elle « se sent harcelée ». « La pire journée de ma vie », dira Evaëlle. Les parents demandent un rendez-vous en toute urgence. Devant eux, Lyes C. refuse de parler de « harcèlement » de la part de l’enseignante. « Elle était choquée qu’on puisse dire ça d’elle. Elle n’avait rien contre Evaëlle », évoque-t-il.
Un manque d’empathie criant de l’enseignante
L’année qui suit le décès d’Evaëlle, un nouveau principal, Xavier R., prend les commandes du collège. Cité comment témoin, il a relaté cette année très particulière où voulant organiser un temps d’hommage à la collégienne décédée, il s’est heurté à des difficultés. « Il n’y avait pas d’adhésion sincère », se souvient-il. Alors que Pascale L. est visée par une plainte des parents d’Evaëlle, beaucoup d’enseignants font bloc autour d’elle.
Au conseil d’administration figure le père d’Evaëlle depuis la rentrée où siège également… Pascale L. « L’ambiance est glaciale », reconnaît Xavier R. Il s’attendait à voir une professeure triste, il découvre une personne très sûre d’elle qui rigole volontiers avec ses collègues. Il observe même qu’elle a une « posture d’autorité en salle des profs ». « Cette posture d’assurance n’a pas été bien vécue par la famille », admet-il.
Me Delphine Meillet, avocat des parents d’Evaëlle, cite une conversation entre la professeure et une collègue, où elle se plaint de futur hommage à la jeune fille. « Je commence à ne plus supporter cette chape de plomb que nous impose la mémoire d’Evaëlle. C’est indécent aussi par rapport à ma situation. Tout ça pour caser son moment de mémoire… », se plaint l’enseignante. Le procès se poursuit ce mardi.
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