Enthousiaste, dubitatif ou franchement contre: les avis sur le projet gouvernemental de «simplification administrative» ciblant la protection de la nature pour relancer la construction de logements sont très partagés.

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Lors de sa déclaration sur le programme gouvernemental en novembre 2023, le Premier ministre, Luc Frieden (CSV), avait été très clair: «La politique de protection de la nature ne doit pas devenir une politique d’entrave», avait-il déclaré. «Une série de lois sur la protection de la nature sont trop extensives ou trop strictes, avec comme effet que nous n’avons pas pu construire [de logements]», martelait-il, tout en souhaitant que «des applications extrêmes de la législation sur la protection de la nature ne puissent pas freiner d’autres politiques».

Une «politique d’entrave» à simplifier

Le projet de loi 8449, déposé en octobre 2024 par le ministère de l’Environnement, est une mise en œuvre de cette vision. Quelques exemples de «simplification administrative»: abandon de l’obligation de compenser certains types de biotopes, élargissement des possibilités de déroger à la protection des espèces animales et végétales, abandon du principe de la compensation écologique pour les arbres routiers et les arbres sur des places publiques, entre autres.

Mais, alors que la protection de la nature est loin d’être un luxe à notre époque de crise écologique et d’effondrement de la biodiversité, ces mesures sont-elles efficaces? Autrement dit, ce moins-disant sur l’écologie est-il compensé par une véritable amélioration de l’efficacité sur le plan procédural?

Les associations écologiques vent debout contre le projet

Les associations de protection de la nature sont en tout cas vent debout contre ce projet. «En tant que principale organisation de protection de la nature du Luxembourg, regroupant 10.000 membres et 40 associations partenaires, nous nous opposons au présent texte», déclare fermement natur&ëmwelt.

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Assurant comprendre «l’intention de simplifier les procédures», l’association juge «que le projet de loi n’est pas équilibré et entraîne un affaiblissement considérable de la législation en matière de protection de la nature, alors que celle-ci est toujours en mauvais état au Luxembourg». Elle doute en outre «que les modifications proposées permettent vraiment de construire plus rapidement, encore moins de résoudre la crise du logement».

De la même manière, le Mouvement écologique, s’il reconnaît lui aussi «la nécessité d’une simplification des procédures», estime que ce projet «conduira à une perte de biodiversité et de qualité de vie dans nos agglomérations» sans pour autant être à même «d’atteindre le but d’une simplification administrative et d’une accélération des procédures en matière de politique du logement».

Chambre des métiers et Chambre de commerce favorables

À l’opposé, du côté des chambres professionnelles, la Chambre des métiers considère ce projet comme «un compromis entre simplification administrative et protection de la nature». Elle juge même que celui-ci ne va pas assez loin: «Beaucoup reste encore à accomplir en matière de simplification administrative», note-t-elle. Même tonalité à la Chambre de commerce, qui se prononce en faveur et même «salue» ces mesures de simplification.

La CSL inquiète

La Chambre des salariés (CSL) n’est par contre «pas en mesure de marquer son accord au projet de loi». Ces mesures «soulèvent de sérieuses inquiétudes en matière de préservation de l’environnement et de protection de la biodiversité», selon la CSL, et «risquent de compromettre les objectifs à long terme de durabilité environnementale et de restauration des habitats naturels».

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Il faut que «la réponse à la crise du logement n’aggrave pas la crise écologique en cours», prévient-elle, jugeant que «ces adaptations réglementaires sont perçues comme un affaiblissement des garanties écologiques au profit d’une simplification administrative qui semble privilégier les intérêts économiques à court terme».

Les représentants de l’OAI dubitatifs

L’ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI), qui représente un point de vue plus pratique sur le projet, reste dubitatif sur l’efficacité réelle de ces mesures de simplification administrative. «Les différentes mesures ne sont pas perçues comme des grandes mesures de simplification ou d’accélération», déclare Lex Faber, urbaniste-aménageur et membre du groupe de travail de l’OAI préparant l’avis sur le projet de loi en question.

Dans le fond, la loi serait impuissante pour résoudre le problème, qui se situe davantage au niveau des procédures d’autorisation et de la répartition des rôles entre l’administration et le secteur privé. «Cela prend actuellement environ une année pour recevoir l’autorisation au niveau de la protection de la nature, et cela n’a rien à voir avec la loi, mais avec la procédure qui fait suite à l’introduction de la demande d’autorisation», remarque Lex Faber.

L’administration surchargée

L’administration de la nature et des forêts (ANF), qui gère les demandes d’autorisation, est en effet surchargée, et parfois par des tâches qui ne devraient pas relever de son domaine de compétence. «Ce sont des agents qui devraient seulement faire un contrôle de conformité ou de légalité», constate Lex Faber. Or, de plus en plus de tâches, qui relèvent davantage du rôle de conseiller, leur sont transmises par l’État.

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«L’administration est-elle là pour conseiller un privé, ou est-ce au maître d’ouvrage de prendre ses experts?», s’interroge-t-il. «L’administration devrait se concentrer sur ce qui est déjà prévu dans la loi et faire avancer les autorisations et les procédures, sans en parallèle proposer des services qui devraient être assurés par le secteur privé. Il y a des professions indépendantes qui ont les compétences et les ressources pour faire ce genre de choses. Chacun a son rôle.»

Une meilleure répartition des tâches plus efficace que le changement de la loi

Une meilleure répartition des tâches est donc nécessaire: à l’ANF de se limiter au contrôle, au maître d’ouvrage de bien gérer la procédure en amont, quitte à engager un expert en la matière. «Il y a souvent des demandes au dernier moment parce que le maître d’ouvrage n’est pas conscient qu’il faut une autorisation, alors que celles-ci auraient probablement pu être demandées un an avant sans provoquer de retard», constate Lex Faber.

In fine, selon lui, «la gestion professionnelle d’un projet, en impliquant les bons experts, peut accélérer les choses, bien plus que la loi et l’administration».