Au classement des pays les plus heureux comme à celui des pays les plus riches, ou bien à celui de l’espérance de vie, le Luxembourg se distingue particulièrement. Mais dans d’autres catégories, le pays fait moins bien. C’est notamment le cas de la thématique de la part de femmes parmi les étudiants en master et en doctorat.
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Selon des données publiées par Eurostat au début du mois de mars sur le sujet, le Grand-Duché figure bon dernier en la matière. En 2022, la part d’étudiantes inscrites en master à travers l’Union européenne était de 58,6%, tandis que celle des doctorantes tombait à 48,5%. Parmi les pays de l’UE, le Luxembourg arrive en dernière position avec 49,8% d’étudiantes au niveau master, et 42,3% de doctorantes.
Une situation qui ne ravit pas Jens Kreisel, le recteur de l’Université du Luxembourg. «C’est une grande déception, mais ce n’est pas une surprise. Nous suivons avec énormément d’attention notre progression en matière d’égalité des genres au sein de l’université, qu’il s’agisse des étudiants ou du corps professoral», indique le professeur.
Des facteurs multiples
En queue de classement, aux côtés du Luxembourg, on retrouve la France, la Belgique et l’Allemagne. Une observation qui n’a pas échappé au recteur. «C’est relativement frustrant comme constat, mais cela montre que nous faisons partie d’un bassin culturel où, malheureusement, il n’y a pas suffisamment de femmes qui font des études, notamment des études dans le domaine des STEM, qui englobent la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques.»
Jens Kreisel est recteur de l’Université du Luxembourg depuis le 1er janvier 2023. © PHOTO: Lorène Paul
À l’inverse des sciences humaines et sociales, où les étudiantes sont surreprésentées, les disciplines STEM font davantage l’objet de thèses, ce qui gonfle le taux d’étudiants masculins parmi les doctorants. Mais il ne s’agit pas du seul facteur pouvant expliquer cette non-parité. «Nous partageons une difficulté commune avec les pays voisins, qui est que nous manquons de role models féminins», estime le recteur.
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La recherche souffre par ailleurs d’une image qui peut paraître peu avenante pour les jeunes femmes, celle d’une discipline solitaire, alors qu’elle est pourtant devenue un travail d’équipe. «Notre approche est donc d’aller à la rencontre des futurs étudiants dans les écoles, dans les lycées, afin de leur expliquer ce qu’est la recherche et de briser les idées reçues qu’ils peuvent avoir sur certains domaines.»
Passer d’un bachelor à un master n’est pas un problème, comme le montrent les statistiques. Mais quand on se dirige vers le doctorat, on rentre directement en collision avec la vie privée et l’envie d’avoir une famille.
Jens Kreisel
recteur de l’Université du Luxembourg
Qu’il s’agisse de s’engager dans un doctorat, ou plus généralement de poursuivre une carrière, les femmes doivent composer avec l’impact de la maternité sur leur vie professionnelle. «Certaines étapes sont plus dures que d’autres. Passer d’un bachelor à un master n’est pas un problème, comme le montrent les statistiques. Mais quand on se dirige vers le doctorat, on rentre directement en collision avec la vie privée et l’envie d’avoir une famille», souligne Jens Kreisel.
Seulement 28% de professeures
Pour encourager les femmes à s’engager dans des études plus longues, l’université a mis plusieurs initiatives sur pied. Un programme de mentorat est notamment proposé aux étudiantes. «Le mentorat permet d’accompagner les thésardes dans leur recherche, mais aussi durant leur carrière au sein de l’université», explique le recteur, qui précise que le mentorat «fait l’objet d’un grand intérêt des étudiantes et des mentors».
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Car si la parité n’est pas encore atteinte parmi les doctorants (45% de femmes environ), le déséquilibre est encore plus important parmi le corps professoral. «La proportion de femmes parmi nos professeurs a été constante ces 20 dernières années, située à 25%. Durant ces quatre dernières années, nous avons réussi à l’augmenter à 28%. On espère approcher les 30% l’année prochaine. Je me souviens avoir proposé cet objectif, et on m’avait traité de fou. Mais j’ai même bon espoir qu’on arrive à 35%. Chaque pourcentage est une victoire», affirme Jens Kreisel, qui précise que la parité est de mise au sein du rectorat et du conseil d’administration de l’Uni.
Pour les programmes où nous avons un important déficit de parité, nous allons ouvrir le recrutement de professeurs uniquement aux femmes pendant six mois, avec l’accord du gouvernement.
Jens Kreisel
recteur de l’Université du Luxembourg
Afin de continuer à faire progresser la part de femmes au sein du corps professoral, l’Université du Luxembourg va mettre en place une nouvelle initiative à l’été 2025. «Pour les programmes où nous avons un important déficit de parité, nous allons ouvrir le recrutement de professeurs uniquement aux femmes pendant six mois, avec l’accord du gouvernement. Avec cette initiative, nous voulons envoyer un vrai signal.»
Une fois embauchées au sein de l’Uni, les professeures peuvent bénéficier d’un accompagnement spécifique pour leur recherche. Celui-ci prend la forme de bourses d’excellence réservées aux jeunes femmes. «Ces bourses permettent aux post-doctorantes, aux professeures assistantes et aux professeures associées d’avoir plus de moyens pour leur recherche», détaille Jens Kreisel.
Un objectif qui se joue dans le temps
L’engagement de l’Université du Luxembourg en faveur de la parité ne s’arrête pas là. Le rectorat est toujours en quête de solution pour aider les étudiantes et les professeures à concilier recherche et vie familiale. Si l’Uni n’est pas en capacité d’ouvrir une crèche au sein de ses locaux, faute d’autorisation, d’autres solutions sont envisagées. «Nous sommes en train d’explorer un partenariat avec des crèches situées aux alentours du campus de Belval pour garantir un certain nombre de places. Nous espérons trouver une amélioration d’ici un an.»
Pour compléter ces initiatives, le recteur garde un œil à l’étranger, dans le but de s’inspirer des bonnes pratiques en matière d’égalité des genres, afin de les adapter au sein de l’établissement d’enseignement supérieur. «Notre démarche est de soutenir les femmes là où on peut dans chaque étape. Mais c’est un jeu qui se joue dans le temps. Il n’est pas possible de changer tout le système en deux ou trois ans. La société ne peut pas se priver de la capacité d’excellence et du cerveau des femmes.»
De nombreuses étudiantes à l’étranger
Interrogé sur la publication d’Eurostat, le ministère de l’Enseignement supérieur souligne que la majorité des étudiants résidant au Luxembourg ne suivent pas leurs études dans le pays. Environ 80% d’entre eux poursuivent leur cursus universitaire à l’étranger. «Lorsque l’on prend en compte tous les étudiants résidents inscrits en master et en doctorat, les données d’Eurostat sont à relativiser», souligne le ministère. Ainsi, pour l’année académique 2023-2024 sur 5.004 étudiants-résidents en master (études au Luxembourg et à l’étranger), 2.749 étaient des femmes, soit près de 55%. Au niveau doctorat, sur un total de 263 étudiants-résidents, 138 étaient des femmes, représentant 52,47%.