Mais les deux députés sont, comme on pouvait s’y attendre, restés sur leur faim. Ils se demandaient comment il était possible et s’il était exact que, comme divulgué dans la presse, la banque ING avait attendu cinq ans avant de dénoncer, à la CTIF, d’importants dépôts de cash sur son compte bancaire. “Est-ce une anomalie ?”, a interrogé M. Aouasti. “A-t-il été protégé ?”, a poursuivi Mme Merckx.
L’affaire Reynders, le dossier politico-judiciaire le plus intrigant de ces dernières décennies
Karel Baert, CEO de Febelfin, a souligné qu’il ne peut donner de commentaires sur des cas spécifiques. Et d’insister à nouveau sur le fait que Febelfin est le représentant du secteur financier et qu’il n’est donc ni son superviseur, ni son régulateur, un rôle qui incombe à la Banque nationale de Belgique (BNB). Philippe De Koster, président de la Ctif, l’avait de son côté dit dans la présentation de son travail : il ne peut révéler ni noms de personnes, ni noms de banques.
D’accord sur ce point, les deux hommes ont cependant, pour employer les termes de M. De Koster, des “divergences fondamentales”. Et c’est normal.
Ce que l’affaire Reynders pourrait changer dans la lutte contre le blanchimentBanques contre CTIF
En matière de blanchiment, les banques sont tenues d’effectuer des signalements à la Ctif afin d’éviter qu’un patrimoine illicite se retrouve dans le système financier. Il s’agit donc pour les banques, comme l’a expliqué M. De Koster, de signaler à la Ctif toute “transaction atypique” qui ne correspond pas au profil d’un client que doit connaître le banquier. Ce devoir est particulièrement impératif quand il s’agit de PEP (Personnes politiquement exposées) comme le sont les personnalités politiques.
Les banques sont tenues d’effectuer des signalements à la Ctif afin d’éviter qu’un patrimoine illicite se retrouve dans le système financier. Elles voudraient des critères précis. Ce à quoi s’oppose la Ctif.
Mais qu’est-ce qu’une “transaction atypique” ? Le secteur financier, a insisté M. Baert, voudrait des critères “objectifs”, soit des montants et des seuils. Ce à quoi s’oppose M. De Koster, qui veut que l’on reste sur des critères “subjectifs”.
Ces obligations de signalement à la Ctif en cas de “transactions atypiques” pèsent sur les banques. En 2024, 2 200 collaborateurs des banques s’y consacraient à temps plein, soit 700 de plus qu’en 2020, note M. Baert. En 2023, les banques ont effectué 40 000 signalements à la Ctif, soit la moitié de tous les signalements bien que de nombreuses autres professions (notaires, avocats, professions du chiffre etc.) soient aussi astreintes à cette obligation de signalement et paraissent moins diligentes.
On n’est pas reconnu et on n’est pas payé pour cela, déplore M. Baert. Ce qui lui a valu une volée de bois vert du député Michaël Freilich (N-VA), laissant clairement entendre que les banques, seules à même de gérer l’épargne, ne sont pas davantage payées à l’étranger et que si l’on fixait des critères “objectifs”, comme un montant de 10 000 euros, il suffirait au criminel de n’effectuer que des transactions de 9 999 euros.
La Commission européenne ignorait tout des soupçons de blanchiment d’argent qui pesaient sur Didier ReyndersTrop ou pas assez ?
Et le député nationaliste flamand de contre-attaquer, s’interrogeant sur le fait que 98 % des déclarations des banques à la Ctif n’étaient pas intéressantes. M. Freilich n’est pas loin d’y voir de “l’overkill” de la part des banques, soit noyer la Ctif sous un déluge de dénonciations.
Le député Mathieu Michel (MR) a une tout autre lecture de ces chiffres. “Ne tire-t-on pas au bazooka sur une souris ?”, s’est-il ainsi interrogé.
Philippe De Koster n’a pas voulu trancher, indiquant que ses services ne sont pas en sous-effectif, même s’il serait preneur de cinq membres supplémentaires pour prêter main forte aux 70 membres de son personnel.
Pour le patron de la Ctif, les dispositifs actuels méritent toutefois des adaptations, notamment dans la lutte contre le trafic de drogue, et particulièrement pour pouvoir identifier des douaniers ou dockers qui ont été corrompus. Une piste serait de voir que leur compte est sans transaction pendant plusieurs semaines, ce qui serait le signe qu’ils ont reçu du cash pour leurs services.
La Commission entendra la BNB le 22 avril. Des dates devront être fixées pour le Collège des procureurs généraux et les quatre principales banques du pays.