Polémique

“Et je pense que nous ne le ferions pas non plus pour être très honnête”, a réagi le Premier ministre belge, Bart De Wever, interrogé par la VRT quant à la possibilité d’une arrestation de Benjamin Netanyahu en Belgique au cas où celui-ci déciderait de fouler notre territoire national.

Ces propos ont immédiatement provoqué une onde de choc dans les rangs de l’opposition. Parmi les réactions les plus virulentes, le PTB a réclamé la convocation urgente de la commission des relations extérieures “concernant le refus du gouvernement belge d’arrêter Netanyahu”, tandis que la Team Fouad Ahidar a purement et simplement demandé la démission de Bart De Wever.

Dans le camp de la majorité aussi, la sortie du Premier ministre a de coup étonner.

On se souvient en effet que, le 26 février dernier, en réponse à une question parlementaire qui lui avait été adressée, le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot avait réaffirmé la position du gouvernement belge dans ce dossier : “Je peux vous confirmer que si cela s’avérait nécessaire, notre pays se conformerait au mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale à l’encontre de M. Netanyahu […]”.

Procédure

Au-delà des remous que les propos de Bart De Wever ont provoqués dans la sphère politique notamment, la question qui se pose est le rôle qu’un Premier ministre peut jouer dans une telle procédure. Bart De Wever ou le gouvernement ont-ils le droit de s’opposer à cette arrestation?

C’est une loi de 2004 qui régit la coopération entre la Belgique et la CPI, nous explique Frédéric Dopagne, professeur de droit international à l’UCLouvain.

“Cette loi prévoit que la demande d’arrestation doit être exécutée par la Chambre du conseil”, précise-t-il. C’est donc cette juridiction du tribunal de première instance qui, dans un premier temps, “va vérifier que le dossier est complet, consulter une copie du mandat d’arrêt et vérifier l’identité de la personne visée”. Puis, dans un second temps, et sur base de ces éléments, “c’est donc la Chambre du conseil va rendre exécutoire la demande d’arrestation”.

Concrètement, celle-ci est alors réalisée par les forces de l’ordre – la police donc.

“Un recours peut alors être introduit dans les 24 heures auprès de la Chambre des mises en accusation, précise le professeur. Celle-ci a alors 15 jours pour rendre un avis. Si l’arrestation est confirmée, alors la personne est transférée vers la CPI à La Haye”.

Immunité

S’il s’agit donc d’une procédure judiciaire au demeurant classique, celle-ci “permet théoriquement au pouvoir politique exécutif de ne pas donner suite à la demande de la CPI”, interprète le professeur. Qui détaille : “La demande de la CPI est adressée au SPF Justice”, qui doit alors activer la procédure judiciaire. “On pourrait donc imaginer que la ministre de la Justice et le gouvernement décident de ne pas donner suite”. Encore faut-il présenter un motif valable…

Bart De Wever a justifié ses propos par la “realpolitik” : “Je pense qu’aucun État européen n’arrêterait Netanyahu s’il devait être sur son territoire”.

Mais “ce n’est pas une base suffisante”, estime Frédéric Dopagne. “Il faudrait alors invoquer un argument de nature juridique. On tombe alors sur la question de l’immunité”.

Et c’est justement parce qu’Israël ne reconnaît pas l’autorité de la CPI que la question de l’immunité peut être invoquée. À l’instar d’un Vladimir Poutine, notamment.

“L’immunité ne peut être invoquée pour les chefs d’État des États membres de la CPI”, précise le professeur. Qui complète : “Dans les statuts de la CPI, il existe une disposition qui dit qu’un pays ne peut pas violer ses propres dispositions en matière d’immunité”.

En clair, notre gouvernement pourrait donc, à l’instar de ce que vient de faire la Hongrie, renoncer à mettre en œuvre l’arrestation du Premier ministre israélien, si ce dernier venait à pénétrer sur le territoire belge. Ce qui, pour l’heure, n’est pas prévu.

“Le droit international n’est pas un menu à la carte”

L’onde de choc provoquée par les propos tenus par le Premier ministre a largement dépassé le cadre de la sphère politique.

Vendredi, de nombreuses associations ont dénoncé les déclarations de Bart De Wever. Le CNCD-11.11.11 a notamment jugé celles-ci comme “inacceptables”, car elles “déforcent le droit international et contredisent l’accord de gouvernement”. Chargée de plaidoyer sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour l’organisation, Nathalie Janne d’Othée a rappelé que “le droit international n’est pas un menu à la carte”.

Du côté d’Amnesty aussi, la réaction ne s’est pas fait attendre. “La déclaration faite par le Premier ministre, outre son caractère inutile et inacceptable, non seulement témoigne d’un mépris flagrant vis-à-vis des obligations internationales de la Belgique, mais pourrait être en plus le signe d’un changement de cap très inquiétant”, a fustigé Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone de l’organisation. “Par ses propos, Monsieur De Wever laisse entendre que certaines personnes sont au-dessus du droit belge et du droit international”, a encore dénoncé la directrice.