Celui qui n’obtient pas le statut d’asile au Luxembourg est tenu de quitter le pays. En Allemagne aussi en fait. Mais c’était sans compter sur l’Église. En 2015, l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (BAMF) s’était mis d’accord avec des représentants de l’Eglise pour que «dans des cas exceptionnels et justifiés, afin d’éviter des difficultés humanitaires particulières», les demandes d’asile des personnes en fuite puissent être réexaminées. Ceux-ci bénéficient dans ce cas de l’asile ecclésiastique.
Le groupe de travail fédéral œcuménique sur l’asile dans l’Église décrit cet instrument comme «une dernière tentative légitime d’assister les réfugiés en leur accordant une protection temporaire dans une paroisse/communauté monastique afin d’obtenir un nouvel examen minutieux de leur situation».
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Si les personnes en fuite ont épuisé toutes les voies de recours pour empêcher leur expulsion, l’asile dans les églises doit leur donner le temps de permettre un nouvel examen de leur dossier. Cependant, l’accord entre l’Eglise et le ministère provoque aujourd’hui des ennuis des deux côtés. L’asile dans les églises n’a pas de base juridique, mais se fonde uniquement sur l’accord mentionné précédemment.
Depuis que l’accord a été conclu, le nombre de cas d’asile dans les églises allemandes ne cesse d’augmenter chaque année. En 2020, ils étaient encore 335, en 2021, 822 personnes ont demandé l’asile à l’église et en 2022, ils étaient 1.243. En 2023, le nombre est passé à 2.065 cas et en 2024, l’asile à l’église a atteint un nouveau record avec environ 2.400 cas.
Allemagne: peu d’auto-entrées, l’Église critique le ministère
Le nombre de personnes qui ont pu mener leur procédure d’asile en Allemagne après avoir obtenu l’asile dans une église est toutefois faible, très faible. Sur 2.400 cas d’asile dans les églises en 2024, il n’y a eu qu’une seule fois ce que l’on appelle une auto-entrée. Ce terme signifie que l’Allemagne se déclare responsable de la procédure d’asile d’un réfugié Dublin, parce qu’il s’agit d’un cas de rigueur. Cela signifie que l’Allemagne renonce à un rapatriement parce que la personne risque de se retrouver dans des conditions inhumaines dans un autre pays Dublin.
En effet, selon le règlement européen de Dublin, l’Etat responsable de la procédure d’asile est celui dans lequel un réfugié est entré en premier en Europe. Le BAMF allemand a argumenté auprès de plusieurs médias allemands que la plupart des cas de rigueur sont déjà identifiés dans le cadre de la procédure Dublin. Cela suscite le mécontentement des paroisses. D’un autre côté, on reproche à l’Eglise d’abuser de cet instrument.
Le nombre de personnes qui ont pu mener leur procédure d’asile en Allemagne après avoir obtenu l’asile dans une église est faible.
En Bavière, entre autres, les autorités prennent des mesures de plus en plus sévères contre les communautés ecclésiales qui accordent l’asile dans les églises. Depuis des années, les cas se multiplient où des procédures ont été engagées contre des représentants de l’Église pour aide au séjour illégal d’un demandeur d’asile débouté.
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L’acquittement en dernière instance du pasteur Abraham Sauer en février 2022 a toutefois permis de clarifier la situation juridique. Si les communautés ecclésiales respectent les procédures définies dans l’accord de 2015, l’asile dans les églises n’est pas punissable. Entre autres, les autorités doivent être informées immédiatement du séjour dans l’asile ecclésiastique.
Sur le plan juridique, les paroisses ne sont toutefois pas une zone de non-droit. L’État peut faire usage de son droit de regard et exécuter une expulsion, même si la personne se trouve dans l’asile de l’Église. Ce n’est toutefois pas une pratique courante.
Luxembourg: l’asile dans les églises «n’est pas une alternative»
Au Luxembourg, l’asile dans les églises n’existe pas sous cette forme. C’est ce que confirment aussi bien le ministère de l’Intérieur que l’archevêché au Luxemburger Wort. «Il n’existe pas ou n’a pas (encore) existé d’accord ou de discussions à ce sujet», explique l’évêché dans un courriel. En conséquence, il n’y a pas eu de cas, ces dernières années, où des paroisses auraient accueilli des demandeurs d’asile pour les protéger d’une expulsion.
Au Luxembourg, aucune communauté ecclésiale n’a encore accordé l’asile religieux. © PHOTO: Uli Deck/DPA
Une telle procédure n’est pas non plus prévue par le ministère de l’Intérieur. Interrogé par le Wort sur la manière dont le ministère agirait si une communauté ecclésiale accueillait un demandeur d’asile, le ministère écrit: «Les personnes tenues de quitter le territoire suivent les procédures habituelles».
Le ministère de l’Intérieur ne veut pas non plus considérer l’asile ecclésiastique comme une alternative pour héberger les exilés. Pourtant, les structures d’accueil au Luxembourg sont depuis longtemps déjà à la limite de leurs capacités. Le ministère de l’Intérieur insiste toutefois sur le fait que l’asile dans les églises «ne peut pas être considéré comme une alternative à l’hébergement des exilés dans des structures étatiques».
Dossiers d’asile traités autour d’un «vin chaud» à Mersch
Le fait qu’il n’y ait pas d’asile dans les églises au Luxembourg s’explique entre autres par le fait que les voies de communication sont beaucoup plus courtes au Grand-Duché qu’en Allemagne. Agnes Rausch a dirigé pendant de nombreuses années le service des réfugiés de Caritas et a participé à la création au Luxembourg du Jesuit Refugee Service (JRS), dont elle est aujourd’hui la directrice.
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Dans les années 1990, elle est entrée en contact avec le groupe de travail fédéral œcuménique sur l’asile dans l’Église à Hambourg. L’asile ecclésiastique est surtout accordé parce que l’on a la «conviction intime» qu’une personne a été traitée injustement par l’administration», explique Agnes Rausch.
Au Luxembourg, il a toutefois été plus facile d’entrer directement en contact avec des représentants du gouvernement au sujet de certains cas d’asile. L’ancien ministre de la Justice Marc Fischbach (CSV), qui est devenu par la suite le premier médiateur luxembourgeois, s’est montré particulièrement coopératif – plus tard, le ministre de l’Immigration Jean Asselborn, qui a longtemps occupé ce rôle, estime Agnes Rausch. «À l’époque, on nous écoutait.»
A l’époque, on nous écoutait encore.
Agnes Rausch
Directrice du Jesuit Refugee Service
Dans un entretien avec le Wort, la directrice du Jesuit Refugee Service se souvient comment, dans les années 1990, on communiquait avec les autorités sur les cas de rigueur particuliers. Le soir, elle s’est toujours assise à la même table que le ministre de la Justice Fischbach. Ils se sont rencontrés à Mersch chez le prêtre local Ferdy Fischer, connu pour son activisme politique.
«Il nous versait toujours du vin chaud», se souvient elle en plaisantant de certaines soirées. Avec lui, ils pouvaient communiquer directement sur différents dossiers d’asile. «En Allemagne, il y a la commission des cas de rigueur pour de tels cas. Chez nous, elle avait lieu chez Ferdy Fischer.»
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Selon elle, le fait que, contrairement à l’Allemagne, le Luxembourg n’ait pas tenté d’introduire l’asile dans les églises est également lié au fait que l’Église n’a «plus d’autorité» sur l’État dans ce pays. Agnes Rausch appelle «asile citoyen» ce qui s’est produit de plus en plus souvent par le passé au Luxembourg à la place de l’asile dans les églises.
Des familles privées accueilleraient des réfugiés chez elles pendant 18 mois afin d’éviter leur renvoi dans un autre pays.
Cet article a été publié initialement sur le site du Luxemburger Wort.
Adaptation: Sandra Lochon