Le 14 mai dernier, la Bundeswehr a révélé dans le document Kurs Marine 2025 (Cours Marine) une actualisation de son plan stratégique pour l’horizon 2035. Outre le prolongement de certaines séries de matériels, la marine allemande va dorénavant se préoccuper principalement de l’Europe du Nord et mettre de côté les déploiements amorcés vers l’Indopacifique.
Alors que les principales marines européennes, notamment française, britannique et italienne mettent en avant une capacité de projection intercontinentale et des missions en Indopacifique, l’Allemagne fait le choix de se concentrer sur les zones qui relèvent le plus de sa sécurité immédiate et de celle de l’Otan. Dans la dernière actualisation du plan stratégique pour 2035 de la marine allemande datant du 14 mai, la Bundeswehr explique se focaliser sur la Baltique, la mer du Nord et l’Atlantique Nord. Son objectif est clairement de contrer la menace russe et sécuriser les voies commerciales transatlantiques. L’Allemagne fait le constat du pivotement de la stratégie américaine vers le Pacifique et de l’effort supplémentaire demandé aux partenaires de l’OTAN en Europe. L’envoi d’unités allemandes en Méditerranée, dans le golf arabo-persique ou encore dans le Pacifique reste possible, mais cela ne devra pas entamer la posture de défense sur le flanc Nord de l’Alliance.
La zone d’opération privilégiée de la marine allemande et ses principaux points d’intérêts.
Le contrat opérationnel change grandement pour la marine allemande. Jusqu’ici, il était établi qu’un tiers des navires devaient être opérationnels immédiatement. Il est maintenant demandé à ce que deux tiers des unités soient prêtes à l’emploi (le reste étant en maintenance, rénovation, etc). L’objectif est de faire de la marine allemande une force de “dissuasion”, notamment en Baltique. Pour y arriver, les militaires allemands souhaitent pouvoir dans un premier temps se procurer plus de munitions déjà existantes sur le marché afin de renforcer les stocks, mais également le spectre de leurs capacités.
Ainsi, une capacité de frappe vers la terre à longue portée est mentionnée. Elle pourra être mise en œuvre à court terme depuis des sous-marins ou sur des navires. L’objectif est de pouvoir faire peser une menace conventionnelle sur la bulle de défense aérienne A2/D2 russe présente en Baltique, notamment depuis l’enclave de Kaliningrad. Récemment, le vice-amiral Jan Christian Kaack a révélé réfléchir à une acquisition de missiles Tomahawks. Outre cette capacité mer-sol, la marine envisage également de renforcer la protection des approches maritimes avec une capacité sol-mer via des batteries côtières mobiles de missiles antinavires.
À chaque navire, un drone
Le plan stratégique pour 2035 est mis à jour avec un volet important en matière de drones. Il est stipulé qu’à terme, chaque navire de combat de la marine pourra être accompagné d’un navire autonome ou d’un système de drones afin d’accroître ses capacités, sa résilience et sa létalité.
Ainsi, les six frégates lourdes F127 se verront spécifiquement adjoindre des Large Remote Missile Vessels (LRMV), des navires autonomes lance-missiles à raison de trois unités. Ici, les LRMV sont destinés à agir dans la défense aérienne et la frappe terrestre en profondeur aux côtés des F127, qui seront d’imposants bâtiments de 10.000 tonnes.
Les F127 vont plus que doubler les capacités antiaériennes allemandes des F124 grâce à des navires autonomes lance-missiles.
La Deutsche marine ne prévoit pas d’attitrer des navires ou systèmes autonomes à ses autres grandes unités de combat. À savoir six frégates F126 actuellement en construction. Longues de 166 mètres pour une largeur de 21 mètres, les F126 afficheront déplacement à pleine charge de plus de 10.000 tonnes. Leur rôle, outre une capacité de frappe vers la terre, sera plus particulièrement la lutte anti sous-marine. Enfin, les quatre F125 polyvalentes déjà en service pourraient tomber à trois unités à l’horizon 2035. La cible de 15 à 16 frégates lourdes ne change pas (selon le désarmement ou non d’une F125). Il est probable que les F125 et F126 évolueront pour opérer avec des drones à l’avenir.
Les F126 seront construites dans plusieurs chantiers allemands.
Six à neuf corvettes K130 (dont une seconde version est en production actuellement), seront accompagnées de plateformes autonomes. Plus de 18 Future Combat Surface Systems doivent opérer conjointement avec les K130. Les corvettes et les futurs FCSS sont destinés au combat naval de surface avec une capacité de frappe vers la terre additionnelle. Aujourd’hui, les K130 utilisent leurs missiles antinavires RBS-15 pour ce rôle. Les livraisons des premiers FCSS sont espérées d’ici 2029.
Corvette Koln de type K130 batch 2.
Pour la guerre des mines, un minimum de 12 porte-drones similaires aux rMCM belgo-néerlandais est envisagé. Ils mettront en œuvre des drones de surface (USV) et sous-marins (AUV). Un total de 18 systèmes est attendu. À noter également que six autres systèmes d’AUV pour la guerre des mines pourront être mis en œuvre depuis la terre.
Même chose pour la sous-marinade. Celle-ci doit compter entre neuf et douze sous-marins de Type 212A ou 212CD. L’État fédéral a pour l’instant commandé six nouveaux sous-marins de Type 212CD, mais la série pourrait encore être allongée pour pallier au remplacement des 212A. Il leur est en tout cas adjoint plus de 12 grands drones sous-marins (LUUV), alors qu’il n’était jusqu’ici question que de six engins.
L’ordre de bataille voulu par la marine allemande pour l’horizon 2035.
Un pétrolier-ravitailleur supplémentaire
L’actualisation de mai 2025 confirme la cible de trois ravitailleurs A702, les Berlin (2001), Franfurt am Main (2002) et Bonn (2013) qui mesurent 173.7 mètres pour 20.240 tpc. Les six navires du type A404 (100.6 mètres, 3580 tpc) doivent laisser la place à un même nombre de six nouveaux navires logistiques désignés comme les A405. Par contre, la série des ravitailleurs A707 (173 mètres, 20.000 tonnes) doit être portée de deux à trois unités. La première doit être livrée en 2025. Ces bâtiments remplaceront les vieux Rhön et Spessart (130 mètres, 14.200 tpc) mis en service en 1974 et 1975.
Image de syntèse d’un future ravitailleur A707
Trois bâtiments de renseignement de nouvelle génération
Pas de changement en ce qui concerne le programme de trois nouveaux bâtiments collecteurs de renseignements du type 424, qui a aussi été lancé. Confié à NVL, il va assurer la succession des trois unités du type 423 (Alster, Oste et Oker) de 83.5 mètres et 3200 tpc entrées en flotte en 1988 et 1989. La construction du premier de ces trois nouveaux navires de 132 mètres de long a débuté en 2024 en vue d’une livraison en 2027 et d’une mise en service en 2029. Les deux autres doivent être opérationnels en 2030 et 2031.
Vue d’artiste d’un futur navire collecteur de renseignement type 424.
D’autres avions P-8 Poseidon en option
Dans le secteur aérien, la cible d’hélicoptères NH-90 ne change pas avec 31 NH-90 MRFH Sea Tiger et 17 NH-90 NTH Sea Lion. Les premiers sont dévolus au combat alors que les seconds servent au transport et au secours en mer. Par contre, le visuel du plan Kurs Marine 2025 laisse ouverte la possibilité de poursuivre la série des avions de patrouille maritime P-8 Poseidon de huit à douze appareils. Une telle acquisition éloignerait encore un peu plus la possibilité de participation allemande au programme français qui se développe sur la base de l’A321 MPA d’Airbus. À noter que les P-8 pourront opérer avec des drones aériens à voilure fixe de type MALE (moyenne altitude longue endurance) dont la cible oscille entre huit et douze appareils. Enfin, plus de 22 drones aériens à voilure tournante pourraient être mis en service.
Le premier P-8 Poseidon réceptionné par l’Allemagne.
Un investissement colossal pour s’adapter à un conflit de haute intensité
Toutes ces acquisitions, dans un laps de temps relativement court, vont poser d’énormes challenges et nécessiter d’importants investissements. Reste que la Deutsche marine réaffirme dans son Kurs Marine 2025 sa volonté d’accélérer ses programmes d’acquisition de matériels, de renforcer sa capacité opérationnelle, en particulier au travers de l’entraînement de ses équipages et l’augmentation de ses stocks de munitions. Une nouvelle donne politique outre-Rhin semble donner des gages à ce programme.
Le plan prévisionnel d’évolution de la marine allemande.
En tout cas, la marine allemande cherche à densifier ses capacités et investir dans le domaine des drones. Elle indique également redouter des actions contre ses emprises militaires ou industrielles. Le plan Kurs Marine appelle de ses vœux un cadre juridique plus clair pour lutter efficacement avec les services étatiques non militaires contre les menaces que sont l’espionnage ou les sabotages. Par ailleurs, la marine souhaite durcir ses postes de commandement et ses dépôts (munitions, carburant, etc). La commande de plus de 40 petits navires d’intervention pour un bataillon de fusiliers marins doit également permettre de déployer sur de courts préavis des renforts terrestres pour des missions de sécurisation, d’assaut terrestre ou même de combat naval léger.
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