Mormant-sur-Vernisson, petit village français. Ses 133 habitants, qui ont voté à 89,7 % RN aux dernières élections législatives. C’est dans ce hameau du Gâtinais, au sud de Montargis, que Jordan Bardella et Marine Le Pen ont donné rendez-vous le 9 juin à l’extrême droite européenne pour la fête de la victoire, un an après son succès électoral. Le Hongrois Viktor Orban (Fidesz), l’Italien Matteo Salvini (la Ligue), le Néerlandais Geert Wilders (Parti pour la liberté), ou encore l’Espagnol Santiago Abascal (Vox) ont reçu leurs cartons d’invitation : leurs élus siègent au sein des Patriotes pour l’Europe, le groupe présidé par Jordan Bardella au Parlement européen.
Le ouf de soulagement ressenti dans les capitales européennes après la défaite du nationaliste roumain George Simion risque d’être de courte durée. Car la victoire à l’arraché obtenue par Nicusor Dan, le maire pro-européen de Bucarest ne doit pas faire illusion. Si la Roumanie n’a pas encore basculé dans le camp du populisme, ses partisans sont aux portes du pouvoir. Comme partout en Europe, à commencer par la Pologne, où se tient le 1er juin le deuxième tour de l’élection présidentielle : le candidat nationaliste Karol Nawrocki a accepté les conditions fixées par le leader d’extrême droite Slawomir Mentzen pour tenter d’obtenir les voix manquantes.
Au Portugal, Chega, le mouvement d’extrême droite né en 2019, vient de s’imposer comme la première force d’opposition du pays. Même tremblement de terre en Allemagne, avec l’AfD, qui, avec ses 20,8 % de ses suffrages, a envoyé 152 députés en février au Bundestag.
“Sentiment d’une déstabilisation existentielle”
Partout, les mêmes tendances sont à l’œuvre, sapant les fondements des démocraties libérales. Un mouvement ancien, né au milieu des années 1990, mais qui n’a cessé de s’amplifier. “Le thème de l’immigration est un déterminant principal et renvoie à la question générale de ce que certains appellent la crise de l’identité ; je préfère parler de crise patrimoniale : il s’agit d’un sentiment d’une déstabilisation existentielle”, explique Dominique Reynié, directeur général du think-tank Fondapol.
Longtemps, on a cru que la raison endiguerait la fièvre radicale. Mais rien n’y fait et ce qu’on surnommait “le privilège de la compétence”, sorte de ligne Maginot antipopuliste, a fini par tomber, ouvrant les portes du pouvoir aux partis radicaux. Les arguments rationnels n’ont plus de prise. En 2024 et début 2025, les statistiques de l’immigration irrégulière en Europe ont par exemple spectaculairement chuté, sans pour autant rassurer des peuples inquiets.
Peu importe les multiples contradictions de ces formations ou leurs valeurs très hétérogènes, voire opposées. Mormant-sur-Vernisson, qui s’apprête à accueillir le meeting champêtre de l’extrême droite européenne, signifie “ville morte”. En souvenir de l’invasion des Huns au Ve siècle. Ce lundi de Pentecôte, les partisans de Jordan Bardella ou de Viktor Orban éviteront de citer le nom d’Attila, adulé en Hongrie, mais synonyme d’ennemi redouté en Europe occidentale. L’Europe réactionnaire se nourrit de nouveaux barbares. Il est temps que la vieille Europe ouvre les yeux.