D’après un document interne consulté par Euractiv, les principaux conseillers militaires de l’UE estiment qu’il est temps de réévaluer les accords de défense conclus entre l’UE et l’OTAN, surtout dans le contexte actuel d’augmentation des dépenses militaires.
Dans une note consultative interne, la direction du Comité militaire de l’UE (CMUE) écrit qu’une « révision potentielle » de l’accord de l’UE avec l’OTAN, connu sous le nom de « Berlin Plus », pourrait contribuer à mettre en place une défense européenne commune plus efficace, notamment en améliorant la coordination entre l’UE et l’OTAN en temps de crise.
La CMUE est composé de hauts représentants militaires des 27 États membres. Elle est actuellement présidée par le général autrichien Robert Brieger, qui devrait céder son poste de conseiller au lieutenant-général irlandais Seán Clancy la semaine prochaine.
Les pays européens font face à une pression croissante pour renforcer leurs propres capacités militaires, en raison de la menace persistante de la Russie à l’Est et d’un désengagement progressif des États-Unis en Europe. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier a accentué cette pression, le président américain ayant accusé ses alliés européens de « profiter » de la puissance militaire américaine.
Réexamen de Berlin Plus
L’accord Berlin Plus, signé en 2003, régit la coopération entre l’UE et l’OTAN. Il permet à l’UE d’utiliser certaines ressources de l’Alliance, comme sa structure de commandement, pour ses opérations, mais seulement avec l’accord préalable de l’OTAN. Sans cet accès, l’UE ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour gérer des crises militaires de manière autonome.
La proposition de revoir cet accord intervient alors que l’UE cherche à se doter de capacités de réponse indépendantes, en particulier pour les cas où certains membres de l’OTAN — comme les États-Unis ou la Turquie, cette dernière étant en conflit avec Chypre — pourraient refuser de participer à une réponse collective.
À l’exception de l’Irlande, l’Autriche, Malte et Chypre, tous les États membres de l’UE sont membres de l’OTAN.
La suggestion de réviser l’accord Berlin Plus figure dans un document intitulé « European Defence Readiness 2030 – EUMC Military-Strategic Cooperation », qui définit les orientations futures de la stratégie militaire européenne.
« Compte tenu de la réorientation accélérée des États-Unis vers la région indo-pacifique et des appels répétés en faveur d’un partage plus équitable des charges au sein de l’OTAN, qui reste la pierre angulaire de la dissuasion et de la défense collective européenne, l’Europe ne peut tenir pour acquise la contribution des États-Unis à la sécurité européenne », peut-on lire dans le document.
L’UE « doit donc définir sa contribution à la dissuasion et à la défense territoriale, qui renforcerait également l’OTAN », est-il encore indiqué.
Les forces de l’UE restant fortement dépendantes des moyens de l’OTAN et des États-Unis, en particulier pour la logistique et les systèmes avancés, les opérations militaires à grande échelle de l’UE nécessiteraient toujours l’accès aux capacités liées à l’OTAN.
L’accord Berlin Plus est considéré comme un obstacle potentiel à une telle coordination, en particulier si l’UE devait activer sa clause de défense mutuelle au titre de l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne (TUE).
Une note interne de l’OTAN datant des années 2010 explique que l’accord Berlin Plus « présuppose que l’UE dispose, si l’OTAN n’en a pas besoin elle-même, des capacités et des moyens communs de l’OTAN pour les utiliser dans le cadre d’opérations menées par l’UE ».
La note consultative militaire de l’UE ne cite quant à elle pas explicitement ce point comme raison de modifier l’accord. Cependant, des critiques soutiennent depuis longtemps que le traité donne à chaque membre de l’OTAN un droit de veto de facto sur l’utilisation des moyens de l’OTAN par l’UE, ce qui permet à des désaccords politiques de bloquer les missions de l’UE.
Au début des années 2000, les réserves de la Turquie concernant la mission de maintien de la paix de l’UE en Macédoine ont retardé un déploiement de plusieurs mois.
Clause d’assistance mutuelle
Au cours des trois dernières années, l’UE a débloqué des fonds importants pour l’achat conjoint d’armes, l’augmentation des capacités de production de défense sur le continent et la fourniture d’armes à l’Ukraine.
Le bloc a également créé une force de déploiement rapide de 5 000 hommes, même si l’accent mis sur les opérations militaires en dehors de l’Europe a diminué.
Les hauts responsables militaires de l’UE demandent désormais plus de clarté sur le fonctionnement de la coopération en matière de défense mutuelle au sein du bloc, notamment en réponse aux demandes d’aide formulées en vertu de l’article 42, paragraphe 7, la clause d’assistance mutuelle de l’UE.
À ce jour, la France est le seul État membre à avoir invoqué cette clause, après les attentats terroristes de 2015. Avant d’adhérer à l’OTAN, la Finlande avait indiqué qu’elle pourrait invoquer cette clause en réponse à une invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, mais elle ne l’a finalement pas fait.
La Grèce a évoqué la possibilité d’invoquer l’article 42, paragraphe 7, dans le cadre de ses différends avec la Turquie, notamment au sujet des eaux territoriales.
On ne sait toujours pas comment l’UE procéderait dans le cas sans précédent où l’article 42, paragraphe 7, et l’article 5 de l’OTAN seraient invoqués simultanément.
Pour lever cette ambiguïté, le Comité militaire de l’UE a proposé d’établir un « protocole de crise » entre l’OTAN et l’UE « afin de clarifier les rôles, les responsabilités et la coordination » dans de tels scénarios.