Il y a eu 2020. L’année de sa première apparition dans la catégorie reine, sur la scène majuscule des 24 Heures du Mans. Un baptême du feu converti en premier podium avec Bruno Senna, Gustavo Menezes et le prototype Rebellion R13 (2e entre les deux Toyota usine). Et puis 2024… Cette occasion tuée dans l’œuf, après le violent crash d’un coéquipier le mercredi soir, durant les essais libres 2, qui contraindra l’écurie Jota à reconstruire entièrement la Porsche 963 privée N°12 in extremis pour aller sauver les meubles (8e). Et maintenant? Et de trois pour Norman Nato qui va encore animer le combat des chefs XXL (21 Hypercars en lice représentant 8 constructeurs!), à 32 ans. Cet hiver, l’Antibois a suivi l’écurie britannique devenue la clé de voûte du programme officiel Cadillac en championnat du monde d’endurance (WEC). Avant de débarquer en F1l’an prochain, l’ambitieuse firme appartenant au géant américain General Motors se verrait bien entrer au palmarès du double tour d’horloge sarthois grâce à l’une des quatre V-Series.R engagées. Nul doute qu’elle peut compter sur son Frenchie associé à Will Stevens et Alex Lynn pour figurer à la pointe du combat, ce week-end (14-15 juin)…

Norman, d’abord une petite marche arrière: les 24 Heures du Mans 2024, bon ou mauvais souvenir?

Plutôt bon, quand même. Après l’accident, on loupe une journée de roulage. Et nous entamons la course avec une voiture pas du tout optimisée, reprise en main seulement lors d’un bref “shakedown” en ligne droite sur la piste de l’aéroport voisin. Les gars enchaînent quasiment trois nuits blanches pour remonter la caisse à partir d’une monocoque neuve provenant d’un showcar, expédiée en urgence d’Angleterre. Super boulot! Mais nous perdons de la performance par rapport au package avant l’impact: entre cinq dixièmes et une seconde au tour. Donc il y a de la frustration lors de chaque relais. Mais finir dans le top 10, compte tenu des circonstances et de la concurrence, c’est un résultat correct. Quelle histoire! Sûr que chaque membre de l’équipe se souviendra longtemps de cette aventure…

Aujourd’hui, vous voilà pilote d’usine. Ça change la vie?

Ah oui! L’an dernier, en tant que team privé, Jota devait essentiellement exploiter la Porsche. On ne pouvait pas la développer à notre guise, selon nos ressentis. Maintenant, avec Cadillac, l’implication monte en flèche. Plus de simulateur, plus de séances d’essais, plus de moyens, plus de personnel… Il s’agit carrément d’une nouvelle équipe puisque les deux entités, Cadillac et Jota, n’en forment qu’une, désormais. Et puis, fort logiquement, votre planning englobe des activités marketing et médias supplémentaires lors de chaque manche du WEC. Encore plus au Mans!

Les pilotes Cadillac, votre coéquipier Alex Lynn ainsi que Sébastien Bourdais, qui cravache l’autre V-Series.R, ont-ils accéléré l’adaptation?

À vrai dire, seuls Jenson (Button, le champion du monde 2009 de F1, équipier de Bourdais et Earl Bamber sur la N°38, ndlr) et moi découvrons l’auto. Alex et Sébastien la connaissent depuis trois ans. Pareil pour Bamber et Will (Stevens) qui roulent aux États-Unis. Leur expérience nous permet de gagner du temps, en effet. Je pense par exemple aux réglages. Ils savent ceux qui fonctionnent. Ensemble, on arrive à mettre le doigt plus vite sur les pistes d’amélioration. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en fait. Moi, j’utilise pas mal mon bagage Formule E pour l’électronique, le système de freinage, la récupération d’énergie…

Lors de votre premier test au volant de la Cadillac, quelle différence saute aux yeux? Ou aux oreilles, peut-être?

Surtout aux oreilles, j’allais le dire! Le bruit du moteur (V8 atmosphérique 5,5l) est caractéristique. Et magnifique, honnêtement. Que ce soit dans les tribunes, pour les spectateurs, ou dans l’habitacle, pour nous, vous reconnaissez tout de suite le son Cadillac. Les fans d’endurance adorent. À part ça, au premier abord, on doit se familiariser avec une autre position de conduite. Parce que la voiture, le châssis, sont faits différemment. Donc le feeling change quelque peu.

Le 28 février, aux 1812Km du Qatar, vous aviez une vraie chance de monter d’entrée sur le podium, mais Alex Lynn et Jenson Button se sont accrochés lors d’un restart, ruinant les chances des deux voitures. Une pilule dure à avaler?

On avait le potentiel, la perfo, pour finir dans le top 3, c’est vrai. Pas pour gagner, je pense, car les Ferrari étaient intouchables à Losail. Ce genre d’erreur ne doit pas arriver. Clairement. Vous ne pouvez pas gâcher une telle occasion. Mais, bon, ça fait partie du jeu. On peut parler d’une faute de jeunesse. Je le répète: il s’agit d’une nouvelle équipe constituée de six pilotes qui commencent à travailler ensemble. Vous vous battez contre des structures en place depuis des années et des années. Toyota, Porsche-Penske et j’en passe… ça aurait été une belle histoire de claquer un podium dès notre première course. Dommage. Mais ce n’est pas la fin du monde dans la mesure où l’on ne joue pas le championnat cette saison.

Après six mois et trois courses, êtes-vous prêts? Ou cette 93e édition arrive-t-elle trop tôt?

Prêts à 100%, non! Ce n’est pas en aussi peu de temps que vous trouvez le set-up idéal, la cohésion d’équipe, les stratégies les plus efficaces. Moi-même, j’estime ne pas tirer la quintessence de la voiture pour l’instant. Parce que je n’ai pas encore tout compris. À Losail, à Imola, à Spa, on a commis des erreurs, on a pigé plein de choses. Mais ça ne suffit pas. Au Mans, nous serons vingt fois plus prêts l’an prochain, croyez-moi!

Malgré tout, vous affirmez que les 24 Heures du Mans constituent votre meilleure chance de réussir un coup d’éclat cette année. Pourquoi?

Parce que ce n’est pas un sprint comme partout ailleurs où chaque détail, chaque seconde, compte. Au Mans, tout est possible. Si vous parvenez à tout mettre dans l’ordre, avec un peu de réussite, ça peut se finir en haut. Voire tout en haut! Regardez Ferrari en 2023 et 2024: ils triomphent deux fois sans tutoyer la perfection. Donc, je maintiens qu’il s’agit de notre meilleure chance. On n’est pas favori comme Ferrari ou Toyota, mais on y va pour jouer la gagne.