Validée à l’Assemblée nationale, repoussée au Sénat, la proposition de loi instaurant un impôt de 2 % sur le patrimoine des « ultras riches » reviendra-t-elle sur la table ?
L’idée est portée par l’économiste star Gabriel Zucman. Son constat, documenté dans une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) de 2023, grâce aux données fiscales fournies par l’Etat : certains milliardaires arrivent à échapper à l’impôt sur le revenu en faisant placer les dividendes non distribués de leur entreprise directement dans des holdings qu’ils contrôlent. De l’argent qui n’est jamais taxé tant qu’il n’est pas reversé, in fine, pour que son bénéficiaire en dispose pour sa consommation personnelle. Pour financer leur train de vie, ces personnes peuvent en effet emprunter de l’argent gagé sur la valeur de leur fortune. Au final, ils ne pairaient que 27 % d’impôt sur leur « revenu économique », en incluant l’impôt sur les sociétés de l’entreprise qu’ils contrôlent, dont 2 % d’impôt sur le revenu.
L’impôt Zucman de 2 % toucherait les individus dont la richesse atteint 100 millions d’euros. Il s’agit d’un impôt plancher : il ne serait dû que si les impôts déjà acquittés par la même personne au titre de l’impôt sur le revenu, la CSG, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI), n’atteignent pas déjà 2 % de leur fortune.
Taxer les bien professionnels (…) imposerait aux entreprises, notamment de taille intermédiaires, de distribuer d’importants dividendes aux actionnaires pour leur permettre de payer l’impôt
Améie de Montchalin, ministre des comptes publics
Selon son promoteur, cet impôt, qui devrait toucher 1800 foyers fiscaux (bien moins que l’ancien Impôt de solidarité sur la fortune) pourrait rapporter de l’ordre de 20 milliards d’euros. Mais Gabriel Zucman admet une marge d’erreur de 5 milliards, estimée sur la base du classement des fortunes du magazine Challenges, faute de données officielles pour le calculer. D’où une fourchette de 15 à 25 milliards.
Confiscatoire. Les personnes visées, estime Zucman, ont les moyens d’acquitter son impôt, puisque le rendement du capital atteint de 5 % à 6 % ; largement de quoi acquitter l’impôt sans qu’il soit confiscatoire. « Le fait de base est qu’avec un taux plancher de 2 %, la fortune des milliardaires ne serait pas rabotée […], elle continuerait à croître », fait-il valoir sur le réseau social X.
Reste que chaque cas est spécifique. « Taxer les bien professionnels […] imposerait aux entreprises, notamment de taille intermédiaire, de distribuer d’importants dividendes aux actionnaires pour leur permettre de payer l’impôt », a mis en garde la ministre des Comptes publics devant le Sénat.
Beaucoup d’opposants à cette mesure objectent que les créateurs d’entreprises en forte croissance, comme Arthur Mensch avec Mistral AI, auront à régler cette taxe avant que leur entreprise ne soit capable de leur distribuer des dividendes, puisqu’elle ne réalise pas de profits.
Gabriel Zucman semble avoir réponse à tout et la proposition de loi qu’il a inspirée propose un étalement des paiements dans le temps. « On pourrait aussi permettre aux contribuables concernés de payer l’impôt plancher en nature, avec des actions. Que l’Etat pourrait garder. Ou bien revendre en priorité aux salariés des entreprises concernées », a-t-il fait valoir sur X. Pour éviter que cela ne profite à des investisseurs étrangers, la revente aux non-résidents serait interdite. Mais, outre l’extrême complexité que cela introduirait, cela pourrait dissuader de nouveaux entrepreneurs de créer leur business en France.
Quid du risque d’exil fiscal ? L’économiste répond de deux manières. D’abord, il s’appuie sur des études économiques pour constater qu’elle s’est révélée marginale. Mais, c’est un gros point de faiblesse de son argument, aucune ne porte sur une telle taxe qui inclut le patrimoine professionnel. François Mitterrand lui-même avait renoncé à l’intégrer en instaurant son Impôt sur les grandes fortunes (IGF) au début des années 1980. Ensuite, il a prévu une « exit tax » qui rattraperait les contribuables à l’étranger pendant cinq ans.
Le plus gros risque c’est que des méthodes très puissantes d’évitement soient utilisées
Laurent Bach, co-auteur de l’étude de l’Institut des politiques publiques
Contentieux. Une garantie insuffisante, considère Amélie de Montchalin. « Le rendement sera assuré pendant cinq ans via l’exit tax, mais la sixième année nous n’aurions ni le rendement, ni l’exit tax, ni les entreprises », alerte l’ancienne représentante de la France à l’OCDE, institution au sein de laquelle elle a plaidé pour l’instauration d’un tel impôt, mais uniquement dans un cadre international.
« Je ne prendrais pas ce risque pour mon pays. Sortons du rêve du remède fiscal indolore », évacue un haut fonctionnaire. « La question se pose de savoir si cela ne va pas avoir un effet sur la localisation des holdings et des centres de décisions des groupes. En bout de course, cela risque de déplacer la destination des investissements réalisés », alertait dans l’Opinion l’économiste spécialiste de l’innovation, Philippe Aghion.
Pour Laurent Bach, l’un des auteurs de l’étude de l’IPP sur laquelle s’appuie Gabriel Zucman, le risque n’est pas tant l’exil fiscal. « Quand on vise un petit nombre de personnes tout en haut de la distribution, le plus gros risque, c’est que des méthodes très puissantes d’évitement soient utilisées. Si on commence à taxer plus le patrimoine, les personnes visées vont s’arranger pour qu’il devienne plus difficile à mesurer », prévient ce professeur de finance d’entreprise à l’Essec.
Le problème de valorisation est important. Bien sûr, il y a toujours une valeur minimum taxable, mais elle ne correspondra pas à la valeur de marché et sera peut-être décevante par rapport au rendement attendu
Laurent Bach
Pour lui, le principal risque est que la taxe Zucman n’atteigne jamais le rendement promis. Une entreprise comme CMA-CGM, contrôlée par la famille Saadé, par exemple, n’est pas cotée. « Le problème de valorisation est important. Bien sûr, il y a toujours une valeur minimum taxable, mais elle ne correspondra pas à la valeur de marché et sera peut-être décevante par rapport au rendement attendu. Dans le cadre d’un contentieux fiscal, je ne suis pas sûr que l’on puisse utiliser les mêmes méthodes que les valorisations faites par le magazine Challenges, qui s’appuient sur des comparables en admettant leurs imperfections. On va se retourner vers l’actif net comptable et il sera très difficile, pour le fisc, de le contester », prévient-il. Eric Heyer ne croit pas non plus au rendement promis. « Sur 20 milliards, 11 seraient acquittés par 4 familles » (!), remarque l’économiste de l’OFCE.
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Validée à l’Assemblée nationale, repoussée au Sénat, la proposition de loi instaurant un impôt de 2 % sur le patrimoine des « ultras riches » reviendra-t-elle sur la table ?
L’idée est portée par l’économiste star Gabriel Zucman. Son constat, documenté dans une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) de 2023, grâce aux données fiscales fournies par l’Etat : certains milliardaires arrivent à échapper à l’impôt sur le revenu en faisant placer les dividendes non distribués de leur entreprise directement dans des holdings qu’ils contrôlent. De l’argent qui n’est jamais taxé tant qu’il n’est pas reversé, in fine, pour que son bénéficiaire en dispose pour sa consommation personnelle. Pour financer leur train de vie, ces personnes peuvent en effet emprunter de l’argent gagé sur la valeur de leur fortune. Au final, ils ne pairaient que 27 % d’impôt sur leur « revenu économique », en incluant l’impôt sur les sociétés de l’entreprise qu’ils contrôlent, dont 2 % d’impôt sur le revenu.
L’impôt Zucman de 2 % toucherait les individus dont la richesse atteint 100 millions d’euros. Il s’agit d’un impôt plancher : il ne serait dû que si les impôts déjà acquittés par la même personne au titre de l’impôt sur le revenu, la CSG, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI), n’atteignent pas déjà 2 % de leur fortune.
Taxer les bien professionnels (…) imposerait aux entreprises, notamment de taille intermédiaires, de distribuer d’importants dividendes aux actionnaires pour leur permettre de payer l’impôt
Améie de Montchalin, ministre des comptes publics
Selon son promoteur, cet impôt, qui devrait toucher 1800 foyers fiscaux (bien moins que l’ancien Impôt de solidarité sur la fortune) pourrait rapporter de l’ordre de 20 milliards d’euros. Mais Gabriel Zucman admet une marge d’erreur de 5 milliards, estimée sur la base du classement des fortunes du magazine Challenges, faute de données officielles pour le calculer. D’où une fourchette de 15 à 25 milliards.
Confiscatoire. Les personnes visées, estime Zucman, ont les moyens d’acquitter son impôt, puisque le rendement du capital atteint de 5 % à 6 % ; largement de quoi acquitter l’impôt sans qu’il soit confiscatoire. « Le fait de base est qu’avec un taux plancher de 2 %, la fortune des milliardaires ne serait pas rabotée […], elle continuerait à croître », fait-il valoir sur le réseau social X.
Reste que chaque cas est spécifique. « Taxer les bien professionnels […] imposerait aux entreprises, notamment de taille intermédiaire, de distribuer d’importants dividendes aux actionnaires pour leur permettre de payer l’impôt », a mis en garde la ministre des Comptes publics devant le Sénat.
Beaucoup d’opposants à cette mesure objectent que les créateurs d’entreprises en forte croissance, comme Arthur Mensch avec Mistral AI, auront à régler cette taxe avant que leur entreprise ne soit capable de leur distribuer des dividendes, puisqu’elle ne réalise pas de profits.
Gabriel Zucman semble avoir réponse à tout et la proposition de loi qu’il a inspirée propose un étalement des paiements dans le temps. « On pourrait aussi permettre aux contribuables concernés de payer l’impôt plancher en nature, avec des actions. Que l’Etat pourrait garder. Ou bien revendre en priorité aux salariés des entreprises concernées », a-t-il fait valoir sur X. Pour éviter que cela ne profite à des investisseurs étrangers, la revente aux non-résidents serait interdite. Mais, outre l’extrême complexité que cela introduirait, cela pourrait dissuader de nouveaux entrepreneurs de créer leur business en France.
Quid du risque d’exil fiscal ? L’économiste répond de deux manières. D’abord, il s’appuie sur des études économiques pour constater qu’elle s’est révélée marginale. Mais, c’est un gros point de faiblesse de son argument, aucune ne porte sur une telle taxe qui inclut le patrimoine professionnel. François Mitterrand lui-même avait renoncé à l’intégrer en instaurant son Impôt sur les grandes fortunes (IGF) au début des années 1980. Ensuite, il a prévu une « exit tax » qui rattraperait les contribuables à l’étranger pendant cinq ans.
Le plus gros risque c’est que des méthodes très puissantes d’évitement soient utilisées
Laurent Bach, co-auteur de l’étude de l’Institut des politiques publiques
Contentieux. Une garantie insuffisante, considère Amélie de Montchalin. « Le rendement sera assuré pendant cinq ans via l’exit tax, mais la sixième année nous n’aurions ni le rendement, ni l’exit tax, ni les entreprises », alerte l’ancienne représentante de la France à l’OCDE, institution au sein de laquelle elle a plaidé pour l’instauration d’un tel impôt, mais uniquement dans un cadre international.
« Je ne prendrais pas ce risque pour mon pays. Sortons du rêve du remède fiscal indolore », évacue un haut fonctionnaire. « La question se pose de savoir si cela ne va pas avoir un effet sur la localisation des holdings et des centres de décisions des groupes. En bout de course, cela risque de déplacer la destination des investissements réalisés », alertait dans l’Opinion l’économiste spécialiste de l’innovation, Philippe Aghion.
Pour Laurent Bach, l’un des auteurs de l’étude de l’IPP sur laquelle s’appuie Gabriel Zucman, le risque n’est pas tant l’exil fiscal. « Quand on vise un petit nombre de personnes tout en haut de la distribution, le plus gros risque, c’est que des méthodes très puissantes d’évitement soient utilisées. Si on commence à taxer plus le patrimoine, les personnes visées vont s’arranger pour qu’il devienne plus difficile à mesurer », prévient ce professeur de finance d’entreprise à l’Essec.
Le problème de valorisation est important. Bien sûr, il y a toujours une valeur minimum taxable, mais elle ne correspondra pas à la valeur de marché et sera peut-être décevante par rapport au rendement attendu
Laurent Bach
Pour lui, le principal risque est que la taxe Zucman n’atteigne jamais le rendement promis. Une entreprise comme CMA-CGM, contrôlée par la famille Saadé, par exemple, n’est pas cotée. « Le problème de valorisation est important. Bien sûr, il y a toujours une valeur minimum taxable, mais elle ne correspondra pas à la valeur de marché et sera peut-être décevante par rapport au rendement attendu. Dans le cadre d’un contentieux fiscal, je ne suis pas sûr que l’on puisse utiliser les mêmes méthodes que les valorisations faites par le magazine Challenges, qui s’appuient sur des comparables en admettant leurs imperfections. On va se retourner vers l’actif net comptable et il sera très difficile, pour le fisc, de le contester », prévient-il. Eric Heyer ne croit pas non plus au rendement promis. « Sur 20 milliards, 11 seraient acquittés par 4 familles » (!), remarque l’économiste de l’OFCE.
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