Le mot “féminicide” s’impose dans le débat public, mais reste absent du code pénal. Décrit comme le meurtre d’une femme ou d’une fille en raison de son sexe, il apparaît dans certains discours officiels, sans reconnaissance juridique uniforme.
Le Petit Robert définit le féminicide comme le “meurtre d’une femme ou d’une fille en raison de son sexe”. Un mot fort, qui met l’accent sur le motif sexiste du crime, et qui distingue cette violence des autres formes d’homicide. Pourtant, ce terme n’a aujourd’hui aucune valeur juridique en Suisse.
Il n’apparaît ni dans le code pénal, ni dans les chefs d’accusation. Cela ne l’empêche pas d’être utilisé de plus en plus souvent, notamment dans les communiqués de presse de certaines polices ou Ministères publics. Mais de manière encore très inégale.
La dépêche tombée mardi à l’issue du procès de deux hommes qui ont tenté d’immoler une femme à Neuchâtel met cette problématique très clairement en évidence. On y lit: “Les prévenus de la tentative de féminicide d’une femme, qui a été brûlée vive, ont été jugés mardi à Neuchâtel coupables de tentative d’assassinat. Ils ont écopé de 17 et 14 ans de prison.” Une dépêche qui illustre un double langage: l’un juridique, l’autre sociétal. Car le tribunal, lui, n’a retenu que la tentative d’assassinat. Seul un avocat a prononcé le mot “féminicide” au cours du procès.
Une notion jeune, un usage qui se cherche
Il faut dire que le mot est encore jeune. Il a fait son entrée dans le Petit Robert en 2015 et n’est toujours pas reconnu par l’Académie française. En Suisse, son usage a véritablement explosé lors de la grève féministe de 2019, marquant l’entrée du terme dans le langage courant et médiatique. Mais côté institutions, la prudence reste de mise.
Malheureusement, ces 20 dernières années dans le canton de Neuchâtel, dans 95% des cas, lorsqu’une femme est tuée par un homme, cela se passe dans un contexte de violence domestique. Et donc pour finir, il faut appeler un chat un chat
Georges-André Lozouet, porte-parole de la police neuchâteloise
La police neuchâteloise est la première en Suisse à avoir utilisé officiellement le mot “féminicide”, en juin 2023, dans un communiqué intitulé “Féminicide au sein d’un couple de retraités à Neuchâtel”. Une décision assumée: “Cette décision a été prise avec le procureur qui était en charge de l’affaire. On se trouvait effectivement dans une configuration qui nous permettait d’utiliser ce terme qui n’a pas d’existence juridique, mais qui fait partie du vocable de notre société”, explique Georges-André Lozouet, porte-parole de la police neuchâteloise.
Un choix sémantique assumé pour coller avec son temps, et surtout avec la réalité statistique: “Malheureusement, ces 20 dernières années dans le canton de Neuchâtel, dans 95% des cas, lorsqu’une femme est tuée par un homme, cela se passe dans un contexte de violence domestique. Et donc pour finir, il faut appeler un chat un chat.”
Un mot encore jugé trop politique
Mais preuve que l’emploi du mot “féminicide” est loin d’être anodin, le communiqué de presse en question avait suscité des réactions indignées. Pour certains, le terme est trop politique. C’est l’avis en tout cas de Béatrice Pilloud, procureure générale du canton du Valais. “Je refuse d’utiliser un drame humain pour nourrir un débat qui est politique et qui n’appartient pas au Ministère public. Le Ministère public doit appliquer la loi et utiliser les termes qui ressortent du code pénal. Le terme de féminicide n’existe pas en tant que tel.”
La définition du terme ‘féminicide’ aujourd’hui fait encore l’objet de pas mal d’interprétations selon avec qui vous discutez. D’aucuns estiment que, à partir du moment où une femme est tuée, c’est un féminicide Et puis d’autres ont une définition un peu plus nuancée du terme
Vincent Derouand, responsable de la communication du Ministère public vaudois
Même réticence dans le canton de Berne et de Genève. Tout comme dans le canton du Jura, même s’il existe une liberté de l’utiliser.
Mais les lignes bougent. En 2023, à Yverdon, le communiqué officiel publié après le meurtre d’une femme et de ses deux filles évoquait un simple “drame familial”, provoquant un tollé dans les milieux féministes et militants. Depuis, le Ministère public et la police vaudoise ont mené des réflexions, accompagnés par le Bureau cantonal de l’égalité. Résultat: le terme “féminicide” est apparu à deux reprises dans des communiqués en 2024, pas dans les titres, mais dans le corps des textes. Une manière de reconnaître l’existence du phénomène, même si tout le monde n’y est pas favorable.
Pour Vincent Derouand, responsable de la communication du Ministère public vaudois, l’inscription du terme dans le code pénal permettrait de clarifier le débat, car “la définition du terme ‘féminicide’ aujourd’hui fait encore l’objet de pas mal d’interprétations selon avec qui vous discutez”. “D’aucuns estiment que, à partir du moment où une femme est tuée, c’est un féminicide Et puis d’autres ont une définition un peu plus nuancée du terme.”
Une reconnaissance à venir?
Ce débat prendra certainement de l’ampleur. En Suisse, 18 féminicides ont déjà été recensés depuis le début de l’année. L’un d’eux a eu lieu dans le canton de Fribourg. Il a poussé une députée à déposer une motion il y a deux mois pour introduire le terme dans le code pénal suisse.
>> Lire aussi : Des députés fribourgeois veulent inscrire le féminicide dans le Code pénal après celui d’Epagny
A noter qu’au niveau international, une douzaine de pays d’Amérique latine ont inscrit le “féminicide” dans leur code pénal.
Sujet radio: Deborah Sohlbank
Texte pour le web: Fabien Grenon