Valérie Masson-Delmotte. Photo EBRA/Alexandre Marchi

Valérie Masson-Delmotte. Photo EBRA/Alexandre Marchi

Cette canicule peut-elle être reliée au réchauffement climatique ?

« Ça reste encore incertain. Ce type de configuration fait partie de la variabilité météorologique. Par contre, dans un climat qui se réchauffe, lorsqu’on a ce type de blocage atmosphérique, on peut avoir une très forte accumulation de chaleur. En ce moment, on voit une arrivée d’air très chaud et très sec depuis l’Afrique du Nord, qui en descendant se réchauffe encore davantage. Ce sont des effets de dôme de chaleur, qu’on connaît bien. On a aussi, depuis quelques jours, une canicule marine en Méditerranée : cela peut renchérir l’effet de la vague de chaleur terrestre. »

Par rapport à la moyenne, l’Europe se réchauffe-t-elle plus ou moins vite ?

« Le réchauffement est plus prononcé au-dessus des continents. En gros, on a gagné 1 °C au-dessus de l’océan, mais 1,8 °C au-dessus des continents. L’Arctique est la région qui se réchauffe le plus, trois fois plus que la moyenne planétaire. Mais après l’Arctique, c’est l’Europe de l’Ouest qui se réchauffe le plus, notamment parce qu’il y a une interaction entre vagues de chaleur et sécheresse. Au niveau planétaire, on est encore sur les trajectoires qui étaient ”anticipées” par les climatologues. Par contre, le réchauffement de l’Europe est un peu plus rapide et plus fort que prévu. Si les configurations météorologiques favorables à la formation de ces dômes de chaleur ou ces arrivées d’air chaud ont augmenté, est-ce que c’est juste le hasard, la variabilité spontanée du climat, ou est-ce que c’est favorisé par un climat global plus chaud ? On n’a pas encore de réponse sur ce point. »

« L’influence humaine sur le climat continue à s’exercer fortement »

Avec une soixantaine de scientifiques, vous estimez dans une récente étude que l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C est inatteignable. La partie est déjà perdue ?

« C’est juste un rappel à la réalité des faits. Chaque année, on réactualise les indicateurs climatiques. Le réchauffement qu’on peut attribuer à l’influence humaine est maintenant de l’ordre de 1,36 °C, et il augmente à un rythme de plus en plus rapide. L’influence humaine sur le climat continue à s’exercer fortement, malgré les progrès accomplis – qui sont réels, mais pas suffisants pour le stabiliser. Au niveau planétaire, 2023 et 2024 ont été exceptionnellement chaudes.

S’il n’y a pas de sursaut, on se dirige très vite vers un monde 1,5 °C plus chaud, vers un monde 2 °C plus chaud en 2050, et ça peut-être 3 °C plus chaud en 2100. Chaque dixième de degré en plus, ce sont des événements froids plus rares, moins de froid intense. Cela entraîne aussi une augmentation disproportionnée de l’occurrence d’extrêmes chauds et de records chauds. C’est pour ça qu’on atteint beaucoup plus facilement aujourd’hui des températures de 35 ou 40 °C, qui auraient été considérées comme exceptionnelles il y a quelques décennies. Souvent les gens se disent que 1,5 °C de plus ou de moins, au niveau mondial, ce n’est rien du tout. Vous vous souvenez de l’été 2022 ? En France, c’était le plus chaud jamais mesuré, le record. En 2050, dans un monde à +2 °C, ce serait un été moyen. Et dans un monde 3 °C plus chaud au niveau mondial, c’est-à-dire 4 °C plus chaud en France, ce serait une année fraîche. »