Si on lui fait miroiter un retour à la liberté rapide grâce à un échange de prisonniers, l’Ukrainien se rend vite compte qu’il n’en sera rien. Trimballé de geôle en geôle, le trajet se fait toujours dans les mêmes conditions: les yeux bandés avec du ruban adhésif, “tellement serré” qu’il lui laisse d’horribles migraines, les mains attachées dans le dos et stocké à l’arrière d’un camion “comme du bétail”.
Et, une fois arrivé à destination, la situation ne fait qu’empirer. “On ne sait pas ce qui nous arrive. On tombe à terre et on est immédiatement battu”, détaille Igor. “Ils vous frappent à coups de bâton, de crosse de fusil, de matraque, et ils vous crient de marcher, courbé, mais vous ne savez pas où aller. La douleur est terrible. Si vous tombez, vous êtes encore plus battu. Ceux qui restent à terre sont battus à mort.” Il s’agit en réalité d’un rituel russe, appelé priyomka. Il le revivra encore et encore. A chaque fois qu’il débarque dans un nouveau centre de détention.
Il en garde d’ailleurs de nombreuses séquelles: “J’ai perdu toutes mes dents”, précise-t-il. Parmi ses blessures, il cite notamment ses vertèbres, ses côtes, sa mâchoire et sa jambe droite cassées.
Mais pour lui, ce n’est pas le pire. Cette douleur n’est rien à côté des humiliations qui sont infligées quotidiennement aux prisonniers. On leur fait imiter le cri du poulet, chanter des chansons, courir nus en fil indienne…. “À Koursk, nous devions danser pour divertir les gardiens. Tout le monde, y compris les blessés. Tous ceux qui tombaient étaient roués de coups. J’ai été terriblement battu là-bas”, poursuit-il auprès de nos confrères d’AD, soulignant également avoir été rasé à plusieurs reprises sans ménagement, quitte à lui arracher des morceaux de peau.
Et puis, il y a les interrogatoires. Là encore, il est torturé. Mais aussi branché à un détecteur de mensonges. Un moment qu’il décrit comme “extrêmement stressant”.
“C’était pire qu’en prison”: le témoignage glaçant de 367 habitants détenus un mois par les Russes dans les caves de la mort“Des créatures de l’enfer”
Après sept mois de cette vie cauchemardesque, on lui annonce qu’il va être relâché. Il n’y croit pas. On le lui a déjà souvent dit. Pour le faire espérer, pour que sa détention n’en soit que plus douloureuse. Mais, quand il voit que la violence se raréfie, il change d’avis. Les Russes semblent vouloir effacer les stigmates de la maltraitance dont il a fait l’objet à de maintes reprises. Il voit enfin le bout du tunnel. Il espère toutefois ne pas se tromper.
Fin novembre 2022, c’est le soulagement. L’échange de prisonniers a bien lieu. Le voilà libre. S’il retrouve sa vie d’antan, Igor n’arrive pas pour autant à se comporter comme avant. Il n’arrive plus à faire confiance aux gens. Plus encore, la haine qu’il ressent à l’égard de ses bourreaux le consume: “Ce ne sont pas des êtres humains. Ils ne feraient pas ce genre de choses. Ce sont des créatures de l’enfer.”