Attentat masculiniste déjoué à Saint-Etienne : «Si des filles rigolaient, il pensait qu’elles se moquaient de lui»
by OrdinaryMidnight5
Attentat masculiniste déjoué à Saint-Etienne : «Si des filles rigolaient, il pensait qu’elles se moquaient de lui»
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Année scolaire difficile, mauvaise image de soi… Deux des meilleurs amis du jeune homme arrêté le 1er juillet retracent la plongée masculiniste qui lui vaut d’être mis en examen par le Parquet antiterroriste.
«Mec, c’est super, t’es pris en deuxième année !» En envoyant ce message, Antoine (1) est sincèrement heureux pour son ami Timoty. Depuis deux semaines, son camarade, étudiant en prépa chimie (PCSI) au lycée Claude-Fauriel à Saint-Etienne (Auvergne-Rhône-Alpes), angoissait à l’approche du conseil de classe, vendredi 27 juin. Parmi les derniers du classement, le jeune homme, 18 ans, en avait la conviction : il ne validerait pas son année. Il se trompait. Avec impatience, Antoine attend sa réponse ; elle n’arrivera jamais. Avant même que ses professeurs ne rendent leur décision, Timoty avait été arrêté, suspecté d’avoir voulu commettre un attentat contre des femmes de son établissement. Dans son sac, deux couteaux ont été retrouvés.
Auprès de Libé, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a confirmé l’ouverture mardi d’une information judiciaire. L’étudiant, désormais incarcéré, a été mis en examen pour «association de malfaiteurs terroriste». D’après les autorités, il se revendiquerait ouvertement «incel». Peu connue en France, cette communauté masculiniste en ligne de «célibataires involontaires» autoproclamés prône la haine des femmes, jugées responsables de l’insatisfaction sexuelle de ses membres. A Toronto (Canada), elle a déjà été à l’origine de plusieurs attentats, en 2018 et 2020. Sans oublier la tuerie de l’Ecole polytechnique de Montréal de 1989, dans laquelle 14 femmes avaient été tuées. Mais dans l’Hexagone, l’affaire serait une première.
Antoine et Julien, les deux meilleurs amis de Timoty, tentent encore de trouver un sens aux récents événements. «Il n’a jamais été violent, insiste d’emblée Julien. La première chose que je me suis dite quand la police m’a appelé pour m’interroger, c’est qu’il s’était suicidé, pas qu’il avait voulu commettre un attentat.» Les deux étudiants, eux aussi scolarisés en prépa à Claude-Fauriel, ont accepté d’évoquer auprès de Libé le profil du jeune homme. Décrivant un garçon aussi «timide» en public que «drôle» et «toujours prêt à faire rire ses amis» en petit comité. Depuis le début de l’année toutefois, ils le confirment : l’adolescent avait développé un intérêt particulier pour une notion nébuleuse associée au monde des incels, celle de la «black pill». La «pilule noire».
Chirurgie esthétique et anabolisants
L’idéologie derrière ce terme anglophone, au nom inspiré du film Matrix, est aussi simple que nihiliste : dans la société, les dés seraient pipés. Du fait de la génétique, les hommes considérés comme laids ou petits n’auraient aucune chance de trouver une partenaire. Sur TikTok, les vidéos fumeuses sur le sujet abondent, cumulant des dizaines voire des centaines de milliers de likes. Un contenu qui aurait directement alimenté les opinions de Timoty… en jouant sur ses complexes physiques.
«Il me disait souvent qu’il n’était pas assez musclé, qu’il ressemblait à un enfant, qu’il n’avait pas une tête assez masculine…» rapporte Antoine. Un mal-être confirmé par Julien : «Ses premières paies d’ingénieur, il voulait les dépenser dans de la chirurgie esthétique. Il était à fond dans le “looksmaxxing”». Cette tendance, elle aussi très présente sur TikTok, valorise les mâchoires carrées et joues creusées chez les hommes. «Il est arrivé que Timoty consulte des forums sur ce sujet, abonde Antoine. J’étais allé voir : des mecs postaient une photo de leur tête pour avoir des avis. Parfois, des internautes leur répondaient qu’ils étaient moches, qu’ils feraient mieux de se suicider mais si possible en commettant un massacre avant pour que ça serve à quelque chose.»
Déterminé à changer d’apparence, Timoty avait adapté son alimentation. En buvant par exemple davantage de lait de coco «pour empêcher la rétention d’eau dans son visage», éclaire Antoine. En ligne, il se renseignait aussi auprès d’autres convaincus, pour certains déjà passés par l’étape bistouri. «Il était également en contact avec des internautes pour acheter des stéroïdes anabolisants», assure son camarade. Des dérivés de la testostérone, uniquement accessibles sur ordonnance.
Autre changement de taille : à force de se renseigner sur le concept de «black pill», Timoty en avait fini par perdre la foi. Une volte-face pour ce fervent catholique de classe moyenne ayant un temps envisagé de devenir prêtre. «Ces derniers jours, il me disait qu’il ne comprenait pas pourquoi Dieu, qui était censé faire de nous des êtres égaux, l’avait créé avec une génétique qui ferait que sa vie serait toujours nulle, se remémore Antoine. C’était un signe alarmant.»
«Il était sous pression»
Comment ce jeune garçon a-t-il pu adhérer à de telles théories ? D’après Julien, son ami depuis «la petite section», la bascule aurait été amorcée au lycée. «On est tous les deux passés par le même établissement catholique. C’était un lycée de campagne très à droite», décrit-il. C’est à cette époque que les positions de Timoty se seraient endurcies vis-à-vis des femmes. «Il argumentait souvent que si le bodycount [obsession masculiniste sur le nombre de partenaires sexuels, ndlr] d’une femme est trop élevé, elle perdait de la “valeur”», dit-il. Au fil du temps, Julien l’aurait aussi vu devenir «parano» avec les filles. «Souvent, il pestait contre elles. S’il les voyait rire, il pensait qu’elles se moquaient de lui», remarque-t-il.
Concurrence, pression, exigence de l’excellence… Son passage en prépa cette année aurait fini d’enfoncer le clou. Auparavant bon élève, Timoty a vu ses résultats dégringoler. «C’était sa plus grande préoccupation, se rappelle Antoine. Il sentait qu’il se faisait écraser. Il s’en voulait parce qu’il révisait beaucoup mais malgré ça il n’arrivait pas à avoir de bonnes notes.» Une souffrance aussi observée par Julien : «Dans sa chambre d’internat, il était celui qui s’en sortait le moins bien… Il se sentait dépassé par les autres, inférieur aussi.»
Contactée par Libé, l’avocate du mis en cause, Maria Snitsar, affirme quant à elle avoir fait la connaissance d’«un adolescent perdu, fragilisé». Elle insiste : «Ce n’est pas un combattant.» Ce qu’Antoine et Julien soutiennent aussi : quand bien même Timoty flirtait avec des sphères plus que discutables, jamais ils ne l’auraient imaginé capable du moindre mal. «Ça a d’autant moins de sens qu’une de ses occupations était de traquer les néonazis et les pédocriminels pour les faire bannir des réseaux sociaux… Il voulait être du côté de la justice, pas de l’agresseur», ressasse Julien.
Pendant quatre jours, Antoine n’a de son côté pas compris le silence de son ami face à son dernier message. Et puis ses camarades de classe lui ont tout raconté. De son arrestation aux accusations qui l’accablent. Qu’ils soient proches ou non de Timoty, sur le moment, tous ont partagé cette pensée : «On s’est dit qu’au fond on ne le connaissait pas vraiment.»
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