Dix milliards de dollars, telle est la somme que réclame Donald Trump au Wall Street Journal après ses révélations sur une lettre salace du président envoyée à Jeffrey Epstein en 2003. Dans le même temps, l’iconique Late Show de Steven Colbert est supprimé, et les médias publics PBS et NPR ne reçoivent plus d’argent fédéral.
Des milliards et non des millions, et au moins dix! C’est la somme irréaliste que Donald Trump veut extorquer pour diffamation au Wall Street Journal (WSJ) pour avoir publié jeudi un article parlant de cette lettre envoyée en 2003 pour un livre d’or célébrant les 50 ans du financier et délinquant sexuel Jeffrey Epstein.
La missive comporte plusieurs lignes dactylographiées entourées d’un croquis de femme nue avec la signature de Donald Trump évoquant une toison pubienne. “Joyeux anniversaire – et que chaque jour soit un autre merveilleux secret”, affirme avoir lu le WSJ, sans reproduire l’écrit.
>> Lire : Donald Trump menace le Wall Street Journal qui lui attribue une lettre salace à Jeffrey Epstein
Le président américain a donc attaqué en justice dès le lendemain le prestigieux quotidien, son patron Rupert Murdoch et deux de ses journalistes, selon une plainte avec demande de procès avec jury reproduite par le média public NPR vendredi.
Le locataire de la Maison Blanche est empêtré depuis plusieurs jours dans cette affaire, qui fait l’objet d’une multitude de théories complotistes: il avait pourtant juré de faire toute la lumière dessus. Une situation fort embarrassante, car sa base réclame la publication du dossier Epstein, homme dont il avait été très proche [lire premier encadré].
>> Lire ces articles d’août 2019 et de juin 2022 : Classement officiel de l’affaire Epstein au pénal, mais l’enquête continue et Vingt ans de prison pour Ghislaine Maxwell, l’associée de Jeffrey Epstein
La satire de Stephen Colbert oblitérée
Parallèlement, une émission très populaire et particulièrement critique envers le pouvoir va s’arrêter en mai 2026: “The Late Show with Stephen Colbert”. C’est l’animateur lui-même qui l’a annoncé jeudi soir sous les huées et les cris d’incrédulité du public dans les studios de New York.
“Je partage vos sentiments! Ce n’est pas seulement la fin de notre show, c’est la fin du ‘Late show’ sur CBS, car je ne serai pas remplacé et tout ça disparaîtra”, a-t-il ajouté, ce qui mettra fin à la franchise “The Late Show” lancée en 1993 par David Letterman.
Les réactions ont fusé un peu partout, plusieurs personnes y voyant un cas de censure: “CBS a annulé l’émission de Colbert seulement TROIS JOURS après que Colbert a dénoncé” un accord “qui ressemble à de la corruption”, a ainsi écrit la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, qui pointe des “raisons politiques”.
Sourire moqueur, éternelles lunettes à monture noire, Stephen Colbert, 61 ans, avait qualifié lundi à l’antenne [voir vidéo dans la publication d’Elizabeth Warren ci-dessus] de “bon gros pot-de-vin” (big fat bribe en anglais) le versement par Paramount, maison mère de CBS, de 16 millions de dollars à Donald Trump pour régler un contentieux avec la chaîne, qu’il accusait d’avoir édité l’an dernier une interview de Kamala Harris de manière à valoriser la candidate démocrate.
Elizabeth Warren a ajouté “avoir mené une enquête sur l’accord de Paramount conclu avec le président”, listant des faits: “Ce que nous savons: Trump a intenté un procès à CBS; CBS a qualifié le procès de ‘sans fondement’; Paramount (propriétaire de CBS) a tout de même réglé le litige en remettant plus de 16 millions de dollars à la bibliothèque de Trump; Paramount a conclu un accord d’un milliard de dollars qui nécessite l’approbation de Trump” [lire deuxième encadré].
Soupçonné par des élus démocrates et des ténors de l’industrie culturelle d’être lié à cette affaire, Donald Trump s’est félicité de la décision de l’arrêt de l’émission: “J’adore le fait que Colbert soit viré. Son talent est inférieur à ses audiences”, a-t-il lancé. Un grand nombre de conservateurs se sont eux félicités de la fin d’une émission qu’ils perçoivent comme de propagande de gauche.
Attaques contre les médias de service public >> PBS et NPR appellent aux dons : “Le financement fédéral est réduit à zéro. Sauvegardez le journalisme indépendant et fiable auquel des millions de personnes font confiance”, demande PBS. NPR décrit les médias publics comme une “pierre angulaire” civique pour tous: “Plus que jamais, les médias publics ont besoin de VOUS. Le Congrès a voté la suppression du financement fédéral des médias publics. C’est un coup dur pour des millions d’Américains qui comptent sur notre journalisme et nos programmes. Nous restons déterminés à vous apporter le journalisme sur lequel vous comptez, mais nous avons besoin de votre aide”. [PBS/NPR – capture d’écran]
Ces événements surviennent alors que Donald Trump a fait voter la suppression de fonds fédéraux à l’audiovisuel public, qu’il accuse de dérive progressiste. Le Congrès a ainsi approuvé la suppression de 1,1 milliard de dollars de financements déjà alloués pour les deux prochaines années à la CPB, la Corporation for Public Broadcasting [lire troisième encadré], un nouveau coup porté à l’information de proximité aux Etats-Unis.
L’actuel président américain qualifie de “menteurs” et d'”ennemis du peuple” les médias d’information, un discours très populaire auprès de sa base. Il a également ordonné début mai la fin des aides à NPR et PBS, dressant une longue liste de griefs sur leur traitement “biaisé” de l’information selon lui.
“Ce sont des médias partisans de gauche financés par les contribuables, et cette administration ne pense pas qu’il s’agisse d’un bon usage de l’argent des contribuables”, a encore dénoncé jeudi la porte-parole de la Maison Blanche Karoline Leavitt.
D’après une récente cartographie établie par la société d’analyse Muck Rack et la coalition Rebuild Local News (“Rebâtir l’information locale”, en français), il n’existe plus que l’équivalent de 8,2 journalistes pour 100’000 personnes aux Etats-Unis, contre 40 au début des années 2000.
Stéphanie Jaquet et les agences