Un concert de Coldplay, une kiss cam qui se promène dans le public, s’arrête sur un couple enlacé et diffuse ce moment de complicité sur l’écran géant du stade de Boston, où se déroule le show… Scène bien anodine en vérité. Toute mignonnette, même, racontée comme ça. Mais c’est aux États-Unis que ça se passe, et puisque Monsieur est le CEO d’une société et que Madame se trouve être «sa» directrice des ressources humaines, l’affaire prend aussitôt des allures d’ouragan incontrôlable. Ah, oui, parce qu’on ne vous a pas encore dit: Monsieur, par ailleurs, porte une alliance au doigt. Et la femme qu’il serre contre lui n’est pas celle à qui un jour il a dit «oui». Shocking!

Devenue virale, l’image enflamme les réseaux sociaux depuis une semaine. Les publicitaires se s’en sont emparés, des enseignes comme Ikea, Ryanair ou Aldi la détournant jusqu’à la nausée, indifférents à l’acharnement dont faisaient l’objet les deux «tourtereaux». Mis en congé administratif dès le lendemain de la contagion en ligne et confronté à une enquête interne, le dirigeant a préféré quitter son poste, emporté par un simple geste tendre devenu affaire de gouvernance.

Respect de la vie privée

Pour vivre heureux, vivons cachés? Symptomatique d’une époque où la grande foire numérique conduit à toutes les folies, l’anecdote soulève en tout cas la question de la place des relations amoureuses en entreprise. Que se passe-t-il quand désir et sentiments s’immiscent dans la hiérarchie? Et quelles limites peut – ou doit – poser l’employeur dans la sphère intime de ses salariés? Si la jurisprudence américaine encadre sévèrement ce type de situations, avec des politiques internes très normées et parfois des «contrats amoureux», qu’en est-il au Luxembourg? Le Code du travail laisse bien plus de marge aux amants d’une nuit ou de toujours.

Au Grand-Duché, les relations sentimentales entre collègues – y compris lorsqu’elles impliquent un lien hiérarchique – ne sont pas interdites par la loi. Les textes restent plus discrets qu’une kiss cam sur la question, préférant s’en remettre à quelques grands principes juridiques, à commencer par celui du respect de la vie privée.

L’article L.121-1 dispose ainsi que «les droits de la personnalité du salarié doivent être respectés dans toute relation de travail». Autrement dit, – soupçon de favoritisme, tensions dans l’équipe, harcèlement déguisé –, l’employeur n’a pas son mot à dire. Et certainement pas à l’occasion d’une scène filmée hors du périmètre professionnel, comme ce fut le cas en marge du concert de Coldplay.

Politiques internes

Cette prudence luxembourgeoise contraste avec l’approche américaine, où la vie privée s’arrête souvent aux portes de l’entreprise. Là-bas, ce sont les politiques internes qui font loi: «no dating policies», «fraternization policies» ou encore «love contracts» encadrent les relations amoureuses, en particulier lorsqu’un rapport hiérarchique se faufile jusque sous les draps.

Il est fréquent qu’un salarié soit contraint de déclarer sa relation à la direction, voire d’accepter une mutation ou une réaffectation. À défaut, la sanction peut aller jusqu’au licenciement. Objectif affiché: prévenir tout risque de harcèlement sexuel ou de traitement préférentiel, et protéger juridiquement l’entreprise.

Deux salles, deux ambiances

Au Luxembourg, la logique est inverse: tant que la relation est librement consentie entre adultes responsables, elle relève de la sphère privée. Ce n’est qu’en cas de dérive que l’entreprise peut intervenir, sur la base du devoir de loyauté du salarié ou de l’obligation de l’employeur de garantir un environnement de travail sain (articles L.245-2 et suivants en matière de harcèlement moral ou sexuel).

Dans les faits, certaines entreprises incluent des recommandations dans leur règlement interne – notamment lorsqu’un manager entame une relation avec un collaborateur direct –, mais ces pratiques restent marginales et souvent non contraignantes.

Cette différence de culture juridique et managériale en dit long sur le rapport au travail dans les deux pays. Là où les États-Unis se prémunissent par des procédures formalisées, souvent guidées par la peur du contentieux, le Luxembourg préfère faire confiance à l’intelligence des situations. Approche plus souple, plus humaine aussi, qui reconnaît que la vie professionnelle n’est pas imperméable à la vie personnelle.