À Turnberry, en Ecosse, Donald Trump et Ursula von der Leyen ont conclu un deal qui ne plaît pas à tout le monde : les exportations des Vingt-Sept vers les Etats-Unis seront taxées de 15 % supplémentaires, sans mesures de rétorsion. L’accord douanier décidé ce dimanche 27 juillet entre le président américain et celle de la Commission européenne prévoit également un engagement de l’UE à acheter, d’ici la fin du deuxième mandat de Trump, pour 750 milliards de dollars (640 milliards d’euros) de produits énergétiques tels que du pétrole, du gaz naturel liquéfié (GNL), du nucléaire, des carburants – et semble-t-il des puces électroniques, incluses dans ce montant.

“Tout est très flou”, convient Phuc-Vinh Nguyen, chef du Centre Energie de l’Institut Jacques Delors. En l’état, la promesse européenne ne lui paraît pas réalisable. D’autant qu’elle envoie un signal négatif quant à ses objectifs climatiques.

L’Express : Que contient la promesse d’achat de produits énergétiques de 750 milliards de dollars en trois ans ?

Phuc-Vinh Nguyen : Tout est très flou. Il faut vraiment attendre d’avoir plus de précisions concernant le détail exact car, en l’état, cette promesse semble difficilement réalisable. L’an dernier, les importations européennes étaient de l’ordre de 15 milliards d’euros pour le gaz américain ; 40 milliards pour le pétrole ; une dizaine de milliards pour les produits pétroliers. Cela voudrait donc dire tripler ces montants. Je suis très dubitatif sur la faisabilité de ces annonces. On sait que Donald Trump avait déjà mis en avant, par le passé, l’idée d’un rééquilibrage de la balance commerciale via l’énergie.

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Mais le président américain évoquait, en avril, 350 milliards de dollars. Pourquoi le montant a-t-il changé ?

Je ne sais pas. Peut-être parlait-il de 350 milliards de dollars par an, et la négociation s’est ensuite faite à 250 milliards annuels. C’est une manière d’interpréter ce changement. Encore une fois, entre Donald Trump et les chiffres… Lors de son premier mandat à la Maison-Blanche, c’était Jean-Claude Juncker qui était à la tête de la Commission européenne. A l’époque, ce dernier s’était déjà engagé à acheter davantage de GNL (et de soja) aux Etats-Unis. Cela s’est fait, mais pas non plus dans des proportions mirobolantes, contrairement aux sommes annoncées cette fois-ci. D’où mes interrogations sur la faisabilité.

Cet engagement ne risque-t-il pas de contrevenir aux objectifs climatiques de l’Union européenne ?

En l’état, pour ces objectifs, on repassera… Entre son système d’extraction et son transport par bateau jusqu’en Europe, le GNL américain est très émetteur. Depuis un certain temps, les Etats-Unis font pression pour que l’Europe révise un de ses règlements sur le méthane qui, d’une certaine manière, disqualifie son gaz… Il y a beaucoup d’effets de bord qu’il va falloir appréhender une fois les détails connus. Il est très difficile de voir où ils veulent en venir.

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L’UE n’achète pas elle-même de tels produits, les entreprises le font. Peut-elle réellement forcer ces dernières à signer des contrats ?

On peut interdire l’achat – comme on tente de le faire avec le gaz russe. Mais le forcer, non. Ce sont des entreprises de droit privé : on ne peut pas les contraindre à faire affaire avec qui que ce soit. C’est ce qui me laisse vraiment perplexe.

Ursula von der Leyen a justifié cette promesse en disant que ces achats remplaceraient le gaz et le pétrole russe…

Mais pour se passer du gaz russe, l’Europe achetait déjà plus de GNL américain par effet de marché ! Quoi qu’il arrivait. Est-elle vraiment obligée de s’engager de la sorte, même pour “seulement” trois ans ? Il faudra voir les montants. Surtout, le signal envoyé en termes de décarbonation est loin d’être des meilleurs, puisqu’on continue à passer des accords où il y a une promotion des énergies fossiles. Les industriels, évidemment, s’interrogent…

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Cela ne donne-t-il pas l’impression qu’une partie de la politique énergétique européenne se décide à Washington ?

Oui, d’autant que les Etats-Unis, s’ils le souhaitent un jour, ont unilatéralement les moyens d’arrêter les exportations. Le président de l’Institut Jacques Delors, Enrico Letta, a récemment fait un rapport au niveau européen. Il disait qu’on ne devait pas devenir une colonie américaine. Pour ne pas le devenir, il faut savoir assumer un rapport de force, mettre en avant notre marché de 450 millions de consommateurs, notre union, etc. Cet accord démontre vraisemblablement qu’on n’a pas su assumer ce rapport de force. Sur l’énergie, on se crée une nouvelle forme de dépendance, même si elle n’est pas d’aussi long terme que la précédente.

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