AboArchitecture des années 30 –
L’expo genevoise qui évite la controverse
Le Musée d’art et d’histoire plante le décor architectural des années 30 en mettant sous le tapis les ambiguïtés idéologiques de la modernité.

L’architecture est souveraine dans les salles du Musée d’art et d’histoire avec la reconstitution, ici, de la maison Villiger imaginée par Max Bill.
Dylan Perrenoud
On nous a dit… immersion, la promesse est tenue! Le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) fait littéralement rentrer l’architecture des années 30 dans ses salles. Une villa de plain-pied à l’échelle. Une autre. Un intérieur, comme si on y était, avec salon et salle à manger. Un autre. Même un cabanon authentique de Jean Prouvé, révolutionnaire kit modulable, imaginé comme solution à la crise du logement d’après-guerre.
Les scénographes ont sorti la baguette magique, le flash-back fonctionne. On verrait presque passer des élégantes s’affirmer en pantalon. Ou en tailleur. On entendrait presque grésiller – ou swinguer – le poste radio. Prêt à respirer le chaud et le froid de ces années-là, parties pour vivre le progrès, à fond. Mais… c’était avant, avant l’abattement largué avec les bombes d’une nouvelle guerre mondiale. Le grand écart est musclé, en 1948, il a inspiré un constat à l’historien de l’architecture, Sigfried Giedon: «Et pourtant, tout avait si bien commencé.»

Le face-à-face entre les intérieurs genevois (à dr.) et zurichois éclaire sur les goûts différents à une même époque.
Dylan Perrenoud
Un résumé qui résonne en titre de l’exposition genevoise. Mais pas d’expérience de vie en vue. Ni de société. La démonstration y est celle de l’architecture extérieure, intérieure, souveraine en son exposition. Qui, même si elle montre bien plus que des plans et des maquettes, avec une riche sélection d’objets du quotidien, de mobilier, de photographie, d’affiches, d’œuvres d’art et autres archives documentant cette fin des années 20 et le début de la décennie suivante, reste… une exposition d’architecture. Analytique. Docte.
Plus cérébrale que sensible! Même si elle suit un scénario, invitant chez les Genevois et les Zurichois, au cœur d’une petite guerre d’influence. Avec des inspirations fonctionnelles, minimalistes et rationnelles du Bauhaus, côté alémanique. Et davantage d’atouts confort et esthétiques pour les Romands qui osent encore l’ornemental, se détachant plus lentement de l’Art déco. Arthur Rüegg, le professeur émérite à l’ETH Zurich, figure de l’histoire de l’architecture moderne et puits de savoir, invité par le Musée à tracer ce parcours, parle de choc des cultures. Le discours de l’exposition appuie, évoquant un «face-à-face révolutionnaire».

Percival Pernet (1890-1977) Fauteuil en aluminium, 1931, pour un intérieur genevois.
Musée d’art et d’histoire de Genève, photo : B. Jacot-Descombes
Visible, il l’est… dans une mesure très suisse! Donc les tubulures aluminium ne brillent pas que d’un côté de la Sarine, peut-être plus pratiques chez les uns, plus sculpturales chez les autres. Même constat pour les scènes artistiques, l’écho aux avant-gardes se jauge dans la nuance. Plus radicale chez les Alémaniques. Plus contrastée chez les Romands. Mais c’est vrai, voir aux murs Rodolphe-Théophile Bosshard, Alice Bailly, Le Corbusier et, sur d’autres, Max Bill ou Hans Erni, encore abstrait, vaut toutes les boussoles: on sait de quel côté on se trouve!

Werner Max Moser (1896-1970) Fauteuil Mosersessel, WB n° 21, 1930 pour un intérieur zurichois.
Musée d’art et d’histoire de Genève, photo : F. Bevilacqua
Le graphisme publicitaire ne viendra pas davantage brouiller les repères, on sent dans la précision géométrique de l’un comme dans l’envie d’évasion de l’autre, ce souffle. Ce possible. Le nouveau. Il est diffus, plus libre à Genève, et plus dogmatique, plus industrieux à Zurich où dans l’esprit Bauhaus, la modernité est une atmosphère globale. Un art d’habiter.
La modernité de Le Corbusier
L’exposition vient aussi avec ses grandes figures, celles qui portent et incarnent cette tranche d’histoire architecturale. Max Bill (1908-1994), sa maison Villiger érigée à Bremgarten. Et Le Corbusier (1887-1965), son immeuble La Clarté réalisé avec son cousin, Pierre Jeanneret, à Genève entre 1930 et 1932. La «Maison de verre» est sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, avec 16 autres sites Le Corbusier. Fierté!
Et… ombre. Portée par ces autres faisceaux de la modernité qui ont irrigué la personnalité de l’architecte. Alors que les avis divergent, que des preuves contraires s’affrontent, que des historiens débattent de son antisémitisme, de ses liens avec les régimes totalitaires pendant que la Fondation Le Corbusier contextualise, réfute et défend «l’artisan (autoproclamé) apolitique», la controverse existe. Vive. Mais dans l’expo genevoise, aucune trace.

L’immeuble Clarté en construction à Genève, 1931
F.L.C. / 2025, ProLitteris, Zurich, photo : Frank-Henri Jullien
Le choix est assumé, conscient des polémiques, le directeur Marc-Olivier Wahler l’a validé en réponse à une question posée lors de la visite de presse. «Cette exposition n’est pas centrée sur Le Corbusier et ses activités, elle s’en tient à un niveau formel. Si une histoire critique aurait eu sa place, nous avons fait le choix de rester sur l’expérience physique d’une époque et de ses développements architecturaux à Zurich et Genève.»
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Pourtant la guerre figure bien sur le tracé de l’exposition. Avec la glaciale – et tout aussi déconcertante – apparition de deux machines de défense aérienne alors qu’on vient de quitter deux foyers. Le choc! Il est peut-être voulu, il est peut-être vu comme l’expérience mimétique d’une entrée en conflit. Mais sans les lectures préalables, la présence de ces mécaniques guerrières laisse dans le flou. Celui-ci persiste jusqu’à la fin de l’exposition, le temps défile plus vite qu’un avion de chasse, nous embrouille, et nous voilà devant une compression de César des années 60 pour évoquer le chaos. Nous qui croyions qu’on nous parlait des années 30…
Genève, Musée d’art et d’histoire, jusqu’au 26 oct, du ma au di (11 h-18 h), je (12 h-21 h). mahmah.ch/
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