Les vacances en solo, longtemps perçues comme un choix par défaut ou un signe de marginalité, séduisent de plus en plus de jeunes adultes, notamment des femmes. Chaque été, des milliers de Français prennent seuls les routes de l’Europe, de l’Amérique ou de l’Asie à la recherche de nouvelles aventures, à l’image de Rémi, Anne-Laure et Camille qui racontent à BFMTV leurs escapades en solitaire.

À force d’attendre que ses amis se décident, Camille a pris les devants. L’hiver dernier, à 24 ans, elle a réservé un billet pour la Chine puis la Corée, seule. Une première pour cette jeune femme jusqu’alors habituée aux vacances en couple, en famille ou entre amis. Lassée des plans qui n’aboutissent jamais, elle a fait le choix de partir seule pendant un mois à l’autre bout du monde… plutôt que de ne pas partir du tout.

“J’avais proposé à mes proches mais personne ne voulait venir avec moi”, raconte cette chargée de marketing digital à Avignon (Vaucluse). “Ma famille est trop casanière et mes amis n’avaient pas forcément le budget pour un si gros voyage à ce moment-là… Mais bon on a qu’une vie, et un jour j’en ai eu marre que ma vie dépende du bon vouloir du groupe”.

Un goût de liberté et d’affirmation de soi

Dans l’imaginaire collectif, voyager seul a longtemps été perçu comme un comportement marginal ou réservé à quelques baroudeurs aguerris. Mais ces dernières années, voyager solo séduit un public beaucoup plus large, en particulier les étudiants et les jeunes actifs en quête d’autonomie.

Pour la jeune Camille qui se décrit plutôt comme quelqu’un d’introverti, ce choix initialement par défaut est devenu une véritable démarche personnelle. Cette image du voyage solo comme synonyme de liberté et d’affirmation de soi s’est beaucoup développée grâce aux réseaux sociaux, aux blogs spécialisés et même à certaines agences qui proposent aujourd’hui des offres dédiées aux voyageurs solitaires.

“Escapade en solo”, “Mon premier voyage seul”, “les bénéfices du voyage solo”… Youtube, Instagram ou encore Tiktok regorgent de vidéos et autres contenus qui encouragent à oser franchir le pas, et vantent les vertus du voyage seul, à l’image de Léna Situations, superstar des réseaux qui part régulièrement seule à l’étranger.

Désormais, de plus en plus de Français, et notamment des femmes, refusent de mettre leurs envies en pause faute de compagnons de route. Rémi, lui, a eu ce déclic il y a 10 ans lors de sa séparation. Cet été-là, le Versaillais alors âgé de 36 ans a décidé de profiter de ce temps seul pour réaliser son rêve d’arpenter les routes de la côte ouest des États-Unis, et ce pendant 15 jours.

Ce cadre dans les télécommunications y a pris goût. “Maintenant les grandes vacances, c’est moi tout seul et c’est non négociable”, assure le quadragénaire, qui gère très bien la solitude. “Je pars au feeling et je ne m’impose aucun rythme. Je décide tout sur place et je fais ce que je veux quand je veux, en fonction de mes humeurs. C’est une tout autre façon de voir le voyage”.

“Un pas difficile à franchir mais libérateur”

Ce grand solitaire reconnaît tout de même que cette manière de partir ne conviendrait pas à tout le monde. “Il faut aimer, il y a des moments quand je sors le soir où j’aimerais pouvoir débriefer ma journée avec quelqu’un, mais c’est aussi l’occasion d’aller vers les autres: d’oser taper la discussion aux clients de l’hôtel ou au personnel d’un restaurant, par exemple”.

Rémi rappelle que partir seul a tout de même des inconvénients en termes de budget. Hôtel, taxis, location de voiture… Le voyage solo signifie des dépenses parfois plus élevées, faute de pouvoir partager les frais avec un partenaire. Ainsi, pour maîtriser ses dépenses, Anne-Laure Laratte privilégie les solutions alternatives, notamment les auberges de jeunesse et les transports en commun.

Un peu intimidée par l’idée de partir à l’aventure seule pour la première fois, la jeune Rennaise avait opté en 2018 pour une destination accessible et rassurante: Lisbonne. Elle y a passé six jours dans une auberge de jeunesse, à découvrir la capitale portugaise à pieds ou en tram. “C’était une grande ville, je me sentais moins vulnérable et moins perdue. Et au pire, c’était à seulement 1h30 d’avion de chez moi”, explique la jeune femme d’aujourd’hui 32 ans.

Anne-Laure Laratte chargée de ses sacs à dos lors de ses voyages solo en Allemagne ou en Pologne.Anne-Laure Laratte chargée de ses sacs à dos lors de ses voyages solo en Allemagne ou en Pologne. © Anne-Laure Laratte

Un peu effrayée par l’inconnu à l’époque, cette diététicienne ne s’était pas du tout écartée du centre-ville, “par peur de se perdre, de ne pas comprendre les autres ou de tomber sur des personnes mal intentionnées”. Les premiers jours du voyage, elle raconte ainsi avoir été déboussolée. “Je me demandais: ‘mais qu’est-ce que je fais là? pourquoi j’ai fait ça?’. Je cogitais un peu trop, j’ai mis un ou deux jours avant de me détendre et de trouver mon rythme. C’est là que ça devient agréable”.

“On devient vachement observateur””Au final, c’est assez flatteur et assez chouette”, témoigne Anne-Laure. “C’est un pas qui est difficile à franchir mais une fois qu’on l’a fait, je trouve que c’est assez libérateur parce que si on est cap’ de ça, on est cap’ de tout”.

“C’est un bon moyen de se forcer à sortir de sa zone de confort”, confirme Clémentine Zinetti. La jeune femme de 24 ans, qui avait besoin de prendre du temps seule, est partie une semaine à Rome en auberge de jeunesse en décembre dernier, notamment pour renouer avec ses origines italiennes.

“C’est une expérience à part entière. Ça m’allait parfaitement d’être seule, ça coulait de source même”, ajoute la Parisienne, qui appréciait de “pouvoir se lever le matin puis flâner sans programme prédéfini”, ou de pouvoir “retrouver un bon bouquin le soir après avoir gambadé dans la ville toute la journée”.

“On devient vachement observateur vis-à-vis de ce qui nous entoure: c’est reposant et instructif”, ajoute-t-elle.

Cette immersion à l’heure italienne lui a permis de découvrir la ville et le quotidien des locaux sous un autre angle: cela lui a permis d’engager des conversations spontanées avec des habitants, de prendre des cours de cuisine italienne à l’auberge, de rencontrer des gens lors de soirées à thème dans des bars.

“Pour les femmes, errer est déjà une transgression”

Depuis son escapade dans la capitale portugaise, Anne-Laure Laratte essaie de repousser ses limites. Ainsi l’an dernier, la trentenaire est passée à la vitesse supérieure dans l’expérience du voyage solo. Elle a effectué un petit périple en train de 15 jours à travers l’Europe: de Rennes jusqu’à la Slovénie en passant par l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse.

Un voyage au cours duquel elle ne s’est pas ennuyée une seule seconde, contrairement aux nombreuses craintes formulées par son entourage. “Mes parents et ma grand-mère s’inquiétaient les premières fois. Ils s’y sont fait depuis mais au début ils trouvaient ça bizarre ‘une fille qui part toute seule, quand même!'”. Et pour cause, en tant que femme, partir seule était loin d’être une évidence, comme le rappelle Lucie Azema dans son essai Les Femmes aussi sont du voyage, publié en 2021 chez Flammarion.

“Pour les femmes, le simple fait d’errer sans but dans les rues est déjà un acte de transgression… (…) Il existe une réelle difficulté à admettre qu’une femme puisse consentir, de manière pleine et entière, à sa solitude”, écrit-elle notamment.Une femme en train de randonner en pleine nature dans le Nevada, aux États-Unis. Une femme en train de randonner en pleine nature dans le Nevada, aux États-Unis. © Flickr – CC Commons – A. Bautz

“Croyez-moi ou non mais les journées passent hyper vite”, assure Anne-Laure Laratte, d’autant qu’elle prend toujours soin de choisir des auberges avec une vraie ambiance et des activités proposées. À Berlin, elle a par exemple passé quatre jours dans une auberge avec feu de bois, un petit cinéma tous les soirs et une grande salle commune pleine de canapés. “C’était extra”, se souvient-elle.

D’un naturel plutôt réservé, elle explique que le voyage en solo la pousse à se lancer des défis comme aller davantage vers les autres: “Le fait de savoir qu’on ne reverra probablement jamais ces gens-là, ça libère. On se permet d’être plus direct, y’a moins de barrières.” À défaut de compagnons pour pouvoir la prendre en photo ici et là, Anne-Laure Laratte s’est mise à tenir un petit journal de bord où elle note ce qu’elle fait au jour le jour, afin de garder une trace de ses aventures. Elle explique avoir aussi essayé de poser davantage son téléphone portable au profit d’autres activités… “Ce qui n’est pas évident”, reconnaît-elle en riant.

“Quand je reviens, je suis apaisée, vraiment plus tranquille”

Pour la jeune femme, voyager seule est aussi devenu une manière de mieux gérer son anxiété. “Voyager seule m’a obligée à me recentrer. Ça m’aide à me poser, à respirer, à repartir plus sereinement.” Ses amis ont bien compris que ces vacances en tête à tête avec elle-même lui faisaient du bien: “Quand je reviens, je suis apaisée, vraiment plus tranquille.”

Bien sûr, tout n’est pas toujours simple. En tant que femme seule, Anne-Laure doit faire preuve de deux fois plus de prudence pour sa sécurité. Un jour à Lisbonne, un homme a commencé à la suivre dans le train et à lui poser plein de questions, si bien qu’elle a été obligée de décamper plus vite que prévu de là où elle se trouvait. En Pologne aussi, tard le soir, elle faisait attention en rentrant à l’auberge: “sur la route, je faisais semblant d’être au téléphone et je prévenais les gens avec qui je partageais ma chambre d’où j’allais, quitte à leur partager ma localisation en direct avec mon téléphone”.

Mais hormis ces aspects sécuritaires avec lesquelles elle a appris à composer au quotidien, Anne-Laure s’est complètement laissé séduire par cette nouvelle manière d’occuper ses vacances, qui lui a permis de découvrir une nouvelle facette de sa personnalité: la débrouillardise. À tel point qu’aujourd’hui, elle ose dire qu’elle ne sait pas si elle arriverait à repartir avec des amis, ou alors “en posant beaucoup de limites”.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV