Si le marché luxembourgeois des bureaux se porte mieux, il n’en est rien de son homologue bruxellois. Selon les analystes, il traverserait même sa pire crise depuis des décennies, plongeant dans une spirale déflationniste inquiétante.
Les volumes investis dans les bureaux en Belgique n’avaient pas été aussi faibles depuis 2012, s’établissant à 295 millions d’euros au premier semestre, selon Coldwell Banker Richard Ellis (CBRE). Ce recul révèle un secteur en perte de vitesse généralisée: hors Bruxelles, les autres régions belges n’ont enregistré que 64 millions d’euros de transactions, soit le plus faible niveau depuis la crise de 2008. Une partie significative concerne même des ventes forcées où «le propriétaire est poussé dans le dos par une banque ou un assureur qui exige le remboursement d’une créance».
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Cas emblématique: le groupe Hibert a fait les gros titres l’hiver dernier. Sa holding a enregistré 71 millions d’euros de pertes en 2023 et cumule près d’un milliard d’euros de dettes. En février, la BNP Paribas Fortis a résilié un crédit de 151 millions d’euros, provoquant une bataille judiciaire qui a tourné in fine à l’avantage du groupe Hibert – lequel est spécialisé dans la valorisation de biens immobiliers à usage commercial et mixte, dont des bureaux, principalement à Bruxelles et Paris.
Cette désaffection massive s’explique par une conjonction de facteurs structurels qui minent la confiance des investisseurs institutionnels et des fonds de pension. Ils boudent désormais le bureau, historiquement leur classe d’actifs privilégiée où ils plaçaient les primes de leurs clients. Ils perçoivent ce segment comme «trop risqué» face aux récentes chutes de valorisation, aux investissements considérables nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, à la montée de la vacance outre-Atlantique et aux interrogations persistantes sur la place du télétravail dans les entreprises post-covid.
La concurrence des autres placements
La hausse des taux d’intérêt a par ailleurs rendu de l’attrait aux obligations qui, pour des rendements légèrement inférieurs, «permettent d’investir dans un produit sans risque de gestion ou de vide locatif», explique au journal L’Echo Arnaud Smeets, responsable du département Capital Markets de CBRE BeLux.
Cette concurrence avait complètement disparu à l’époque révolue des taux planchers. Résultat immédiat: les investisseurs privilégient désormais le commerce de détail, la logistique et le résidentiel au détriment des bureaux. La part qui est allouée à ces derniers dans les portefeuilles immobiliers a été drastiquement revue à la baisse. «Beaucoup d’investisseurs ont encore trop de bureaux dans leur portefeuille pour se lancer dans des projets d’acquisition», constate Smeets.
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Le marché locatif s’effondre parallèlement dans des proportions alarmantes. Seuls 128.000 m² de bureaux ont été signés au premier semestre à Bruxelles et dans sa périphérie, excluant les reconductions de baux, soit «le niveau le plus bas en au moins dix ans», selon la BNP Paribas Real Estate qui confesse n’avoir jamais vu de «chiffres aussi bas». Pour sauver les apparences, les institutions européennes ont assuré près d’un quart des signatures avec deux baux majeurs, masquant partiellement la faiblesse dramatique du secteur privé où règne un attentisme généralisé.
Un cercle vicieux qui conduit à la paralysie
Cette situation génère un cercle vicieux: les investisseurs se raréfient parce que l’activité locative ralentit dangereusement, et cette même faiblesse locative dissuade les promoteurs et leurs banquiers de construire sans avoir pré-loué la majorité d’un immeuble. De leur côté, les locataires potentiels restent souvent difficiles à convaincre tant qu’un chantier n’est pas effectivement lancé. Le serpent se mord la queue…
Seuls les immeubles répondant rigoureusement aux normes ESG (Environnement, Social et Gouvernance) tirent encore leur épingle du jeu, créant une fracture béante et croissante avec les bâtiments anciens. Cette réalité reflète les nouvelles exigences environnementales européennes. L’écart d’attractivité, de liquidité et de prix entre immeubles conformes et non conformes se creuse inexorablement.
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Plusieurs sources évoquent toutefois une possible inflexion du marché, lequel bénéficie malgré tout d’une série d’éléments positifs: le «pricing» devient plus clair après trois ans de correction, les taux de financement se stabilisent, le stock d’offres ESG-compatibles attire à nouveau, les «demandes latentes» sont identifiées (150.000 à 200.000 m²).
2024: des signaux avant-coureurs ignorés
Au risque de jouer les Cassandre, d’aucuns estiment que cette crise était parfaitement prévisible pour qui sait lire les signaux. En 2024, les investissements bruxellois avaient déjà atteint «le pire bilan jamais enregistré depuis 25 ans» avec à peine 400 millions d’euros, chiffre excluant la méga-opération Cityforward de 900 millions qui prévoit la rénovation et la transformation de 21 bâtiments de bureaux de la Commission européenne au coeur de Bruxelles. L’ensemble de l’immobilier professionnel belge peinait à approcher les deux milliards d’euros, soit le plus bas niveau depuis la crise financière de 2011.
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Paradoxalement, l’activité locative montrait alors des signes de timide reprise, mais cette évolution masquait une transformation structurelle profonde déjà à l’œuvre. Les locations de «grade A» représentaient déjà 56% des transactions contre seulement 32% en 2022, témoignant de la recherche d’un immobilier de qualité au détriment du bâti ancien.
Cette transition forcée s’accompagnait simultanément d’une envolée vertigineuse des loyers premium, franchissant pour la première fois les 400 euros/m²/an en 2024 avec l’installation du cabinet Paul, Weiss, Rifkind, Wharton & Garrison dans l’immeuble M10, à deux pas du Parlement européen. Cette polarisation annonçait la crise actuelle, où seuls les bâtiments strictement conformes aux nouvelles exigences trouvent encore preneurs.
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