« Une forme de révolte contre la démocratie représentative »

Le succès de la pétition contre la loi Duplomb naît d’un manque de légitimité du gouvernement, combiné au caractère sensible des questions d’environnement, estime Luc Rouban, du Cevipof-Sciences Po.

Comment interpréter le succès incroyable de cette pétition ?

« La première explication est qu’elle concerne la défense de l’environnement, sujet devenu hautement sensible. Il y a une forte attente de l’opinion pour des mesures de protection, d’autant qu’on parle là de produits phytosanitaires pouvant avoir un impact direct sur la santé humaine. Le sentiment d’un abandon de la défense de l‘écologie par le gouvernement provoque une réaction politique. Mais il y a aussi une forme de révolte contre la démocratie représentative. Le gouvernement est considéré comme légitime par environ un tiers de l’électorat, avec un niveau de confiance très bas. Nous sommes en fait toujours dans les retombées de la crise des gilets jaunes : une volonté de démocratie directe, de court-circuiter les professionnels de la politique pour défendre des convictions. »

« La vie politique à l’ancienne est morte »Les syndicats ont également lancé une pétition, cette fois contre les propositions budgétaires de François Bayrou…

« Parce que les syndicats voient bien que la situation politique est bloquée. Toute une partie de l’opinion pense que la gauche avait gagné les élections législatives en 2024, et se sent trahie. Elle veut protester contre ce qu’elle estime être une forme de déni de démocratie : des économies budgétaires sur les services publics, sur la santé, sans toucher à la fiscalité. Et ça, c’est aussi lié à la faiblesse de la gauche, devenue presque inaudible sur les questions économiques et sociales. Cela pousse les syndicats à intervenir pour reprendre la main sur ces sujets. »

Faut-il redonner la parole au peuple par des élections législatives, une présidentielle ou un référendum ?

« C’est une question complexe, car nous sommes en fait dans une impasse. La démocratie directe s’applique bien à des projets précis, locaux, mais pas à l’environnement qui mêle des questions scientifiques, technologiques, socio-professionnelles. Après, il est vrai que tout le monde attend ce retour au peuple. On s’imagine qu’en 2027, on va tourner la page et la situation deviendra claire, avec un retour à la vie politique à l’ancienne. Mais la vie politique à l’ancienne est morte, et une élection présidentielle n’y changera pas grand-chose. Je constate dans l’opinion une forme de mise à distance de tous ces jeux électoraux : le centre de gravité des citoyens n’est plus la vie politique, c’est la sphère privée. Alors on peut réarticuler des choses au niveau local, mais au niveau national, ça me paraît de plus en plus compliqué. Nous surestimons la puissance de l‘élection comme moyen de trancher, de rétablir la concorde sociale et politique en France. »

À lire : Les raisons de la défiance, de Luc Rouban (Presses de Sciences Po).

Propos recueillis par Francis Brochet