Source de cauchemars pour les directeurs sportifs, l’attaquant buteur ressemble à une espèce en voie de disparition. La quête de ce genre de profil est un fait établi depuis de nombreuses années. Elle en est devenue une fixation pour de nombreux clubs cette avant-saison. Differdange s’est montré opportuniste avec Samir Hadji, la Jeunesse a tenté le pari Michael Omosanya, le Titus Pétange a exploré la piste africaine avec Isaac Ako, Rodange tente la filière «ancien pro» avec Kévin Schur et Mondorf l’a joué «last minute» en recrutant Lenny Stoltz.

«Un bon attaquant est défini par ses statistiques. Personne ne le qualifie de tel s’il ne marque pas», constate l’ancien entraîneur du Racing et de Dudelange, Marco Martino. «La suite est souvent une sorte de vente aux enchères. Le plus riche emporte la mise la plus recherchée.»

Aujourd’hui, c’est bien si un gars touche 3.000 euros nets par mois.

Sven Zahles

Et de richesse, il n’en est plus vraiment question au pays. «Quand Hesperange était au sommet il y a quelques années, il pouvait se permettre de payer un attaquant 6.000 euros par mois et de donner 200 à 300 euros par point. Aujourd’hui, c’est bien si un gars touche 3.000 euros nets par mois. Et c’est 50 euros le point pour tout le monde», détaille Sven Zahles, qui dirige l’agence Dropkick et défend les intérêts de Dominik Stolz, Ken Corral et Artur Abreu par exemple.

L’Europe comme aimant

Cette perte d’attractivité se répercute sur le marché. «La BGL Ligue n’est plus l’endroit où les joueurs veulent aller. Si tu es un bon joueur et que tu dois choisir entre l’Azerbaïdjan et des salaires qui avoisinent 10.000 à 15.000 euros et le Luxembourg, le choix est vite fait. Sans parler du type de contrat. Lorsque vous parlez à un Allemand de louage de service, il tourne vite les talons. Et hormis les meilleurs clubs ici au pays, les autres établissent des engagements sur dix mois et pas sur douze.»

La concurrence est parfois aux portes du pays. «A la possibilité de jouer deux, voire quatre ou six matchs sur la scène européenne, le joueur n’hésite pas à sauter le pas vers la Ligue régionale allemande, où il jouera devant 5.000 spectateurs, où il sera mieux payé et où l’accessibilité à un logement est bien plus facile qu’au Luxembourg», poursuite Zahles. La vitrine est différente, mais elle semble attirer des talents comme Miguel Fernandes, voire Fabio Lohei.

Samir Hadji est la perle rare que tout le monde s‘arrache car il peut jouer dans n‘importe quelle configuration. © PHOTO: Ben Majerus

Pour Marco Martino, la scène européenne continue à aimanter certains attaquants. «Et s’ils inscrivent une vingtaine de buts dans la foulée en championnat, ils peuvent passer un cap ou se relancer comme l’a fait Yann Mabella au Racing.» Celui qui fut le plus jeune technicien parmi l’élite au début du dernier championnat range le buteur des Ciel et Blanc, désormais parti en Malaisie, dans la catégorie des tops buteurs, au même titre que Samir Hadji.

«Lui sait tout faire. Marquer, faire marquer, dézoner, peser… Peu de clubs peuvent se permettre d’acheter un tel profil. Alors, pour les autres, il s’agit de complémentarité. D’associer des joueurs peut-être moins forts mais dont la combinaison pourra porter ses fruits.» On se souvient notamment du duo Bertino Cabral-Andreas Buch.

Sven Zahles met, lui, l’accent sur un autre problème au pays. «Combien y a-t-il de directeurs sportifs à temps plein? Très peu. Ils font ça après leur journée de travail. Or, c’est un boulot chronophage et le scouting n’est généralement pas bien fait. Si vous prenez tous les directeurs sportifs de BGL Ligue, je peux vous assurer que tous réunis, ils ne sont pas allés voir 20 matchs de l’autre côté de la frontière en une saison. Je ne parle pas de Metz, de Mönchengladbach ou de la Premier League, mais de clubs potentiellement intéressants pour eux: Thionville, Virton, Hombourg en Allemagne ou même Trèves.»

Marco Martino très connecté

Même s’il n’est plus aux affaires pour le moment, Martino s’est donné les moyens de suivre le marché au plus près avec le logiciel Wyscout. «Oui, ça coûte beaucoup d’argent, mais ça permet surtout d’assurer un suivi de plein de profils et d’avoir un coup d’avance sur les autres. Dudelange ne s’est pas posé la question ces dernières années parce qu’il avait Hadji dans ses rangs. Mais Rodange, par exemple, a dû réagir au départ de Sylvain Atieda, qui était un joueur très intéressant.»

Marco Martino insiste sur la complémentarité lorsqu‘un club ne peut s‘offrir un attaquant de grande classe. © PHOTO: Stéphane Guillaume

Il y a donc encore des coups à faire et des occasions à saisir, mais l’argent reste le nerf de la guerre. Quel que soit le profil recherché. «A un moment, les clubs cherchaient des avants rapides. Puis la tendance est revenue à des garçons qui savent jouer dos au but et qui savent garder un ballon», explique Zahles. «Mais il m’arrive d’être contacté par un directeur sportif qui recherche un attaquant et quand je lui demande quel type, il est incapable de répondre autre chose qu’un ,qui marque des buts‘», poursuit-il avant de mettre l’accent sur le degré d’exigence que les clubs veulent bien se donner.

«Certains clubs estiment que sur huit transferts, si trois donnent satisfaction, c’est qu’ils ont bien travaillé. A mes yeux, c’est insuffisant. Si tu vas chercher ailleurs quelqu’un qui n’est pas meilleur que celui qu’il est censé remplacer, c’est que tu as mal travaillé. Et quand ça ne marche pas, ce n’est pas forcément parce que le joueur est nul mais parfois parce qu’il est mal utilisé.»

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Et lorsqu’un vrai neuf fait défaut, n’y a-t-il pas moyen de faire sans? Même s’il faut se garder de toute comparaison, on repense à la grande période Xavi-Iniesta-Messi au Barça. «L’exemple le plus récent c’est le PSG qui a recentré Ousmane Dembélé. Il décroche beaucoup et il n’y a plus véritablement de ,pointe‘ mais on parle là d’un joueur de niveau mondial qui sait tout faire. Il m’est arrivé de tenter la chose dans l’une des équipes que j’ai dirigées ces dernières années mais ce fut peu concluant parce que les gars qui entourent ce faux neuf doivent savoir comment occuper l’espace», conclut Marco Martino.

En attendant, la statistique est sans appel. «80 pour cent des clubs qui m’appellent le font pour un attaquant. Et ensuite, c’est souvent pour un défenseur central», ponctue Sven Zahles.

Cet article est paru initialement sur le site du Luxemburger Wort.