Mathieu Bihet, ministre de l’Énergie au sein de votre gouvernement, souhaite prolonger le réacteur nucléaire de Tihange I, qui devait normalement cesser ses activités le 1er octobre, pour 10 ans. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai jamais caché mon opposition au nucléaire, mais ça ne m’empêche pas non plus d’être réaliste. Pour disposer d’une certaine indépendance énergétique, nous avons besoin d’un mix, composé de renouvelable et de nucléaire. L’un comme l’autre ne produisent pas d’émissions de CO2. Mais on ne sait toujours pas ce qu’on va faire pendant des centaines d’années avec ces déchets nucléaires. Moi, ça continue à me poser un problème moral.

Une récente étude de Greenpeace confirme “les distorsions de prix” séparant l’avion du train sur le continent européen. Comptez-vous faire quelque chose pour réduire l’écart ?

Je pense avoir été l’un des premiers à plaider pour que le kérosène soit taxé. Aujourd’hui, il y a une concurrence déloyale en la matière qui favorise l’usage de l’avion. Quand ils achètent un ticket de train, les citoyens payent de la TVA sur l’électricité. L’avion, ça reste 3 % des émissions de CO2. Un effort pour les courtes distances est nécessaire, mais il faut pouvoir le faire dans des règles de concurrence identiques. La taxation du kérosène se retrouve d’ailleurs dans l’accord de gouvernement, mais il faut un consensus sur le plan européen pour pouvoir vraiment avancer.

Le train ou l’avion, lequel est le plus cher pour des trajets européens ? “Notre rapport révèle l’ampleur de la distorsion des prix”Cet été, l’actualité a aussi été marquée par les feux de forêt, qui ont brûlé des dizaines de milliers d’hectares, en France notamment. Que fait la Belgique pour s’y préparer ?

Je me suis saisi de cette thématique in tempore non suspecto, en mars dernier, en envoyant une lettre à l’ensemble des partenaires dans ce dossier. Le rapport établi par le Cerac (Centre d’analyse des risques climatiques, NdlR) pointe que la Belgique n’est pas à l’abri des feux de forêt. Mon collègue Bernard Quintin (ministre de l’Intérieur, NdlR) est responsable de la réaction à ces incidents, tandis que je suis en charge de leur prévention. Mon rôle est avant tout de veiller à une coordination nationale dans ce dossier.

Venons-en au plan climat de la Belgique, l’un des derniers attendus par la Commission européenne, qui avait épinglé notre pays pour son retard. Où en est-on ?

Il faut d’abord rappeler que la Commission européenne avait recalé le plan climat du précédent gouvernement. Nous avons donc dû reprendre le travail sur base d’un plan recalé, entre autres parce que la Flandre n’était pas à niveau. Reconnaissons qu’entre-temps, Melissa Depraetere (ministre flamande du Climat, NdlR) a fait le travail. Chacun a fait son travail, et j’ai moi-même envoyé dès le mois de juillet, les quatre feuilles de route à la Commission. Maintenant, on est en train d’agréger l’ensemble, qui sera déposé au mois de septembre par l’administration. Cela n’est donc plus de mon ressort.

Échec des négociations pour un traité sur la pollution plastique : “Le combat ne s’arrête pas à Genève”, assure Jean-Luc CruckeVous sentez-vous impuissant, comme ministre fédéral du Climat ?

Non, je suis plus déterminé que jamais. Même s’il faut reconnaître qu’il y a moins de mobilisation sur le climat. C’est normal, on ne peut pas tenir de tels mouvements dans le temps. Et certains ont été déçus, estiment que les choses n’ont pas assez changé. Moi, je ne vais pas arrêter. Je n’ai que 62 ans, et j’espère bien que je serai encore là en 2050, même si ce ne sera peut-être plus en politique. Je veux continuer à participer à cette lutte. Quand j’entends des jeunes qui me disent qu’ils ne veulent plus faire d’enfants, j’ai envie de les rassurer. De leur dire qu’on va y arriver, ensemble. Le climat ne devrait pas diviser.

D’ici 2030, la Belgique devra avoir réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 47 % par rapport à 2005, et avoir développé une capacité de renouvelable de 33 %. Avant, en 2050, d’atteindre la neutralité climatique. Est-on sur la bonne voie ?

On est sur la bonne voie, mais il ne faut sûrement pas se reposer sur ses lauriers. Ça ne va pas être facile. Mais, si nous avons pris du retard dans l’envoi du plan climat national, nous ne sommes pas parmi les plus mauvais élèves européens au niveau du contenu. Le climat n’est pas une variante d’ajustement. Aujourd’hui, on ne dit plus que le feu peut prendre. L’incendie est là, et il faut chercher à l’éteindre. Le maître mot n’est plus la prévention, mais l’adaptation. D’ici 2050, la situation va continuer à se détériorer.

Selon les scientifiques, des mesures fortes sont nécessaires pour ralentir le réchauffement de la planète. Êtes-vous prêt à entreprendre des réformes courageuses, au risque d’être impopulaire ?

On n’a pas le choix. Il y a des faits scientifiques qui font consensus, et j’ai choisi de ne plus discuter avec ceux qui les contestent. Le Giec n’a pas inventé la notion de réchauffement climatique pour les hirondelles. Des centaines de pages d’études confirment le phénomène. Et l’Europe se réchauffe plus vite que les autres continents. Le climat concerne tous les domaines. En Grèce et en Turquie, la population doit parfois s’arrêter de travailler à cause de la chaleur. Ces gens migreront peut-être un jour vers nos contrées. Est-ce cela que veut un gouvernement ? On doit prendre les devants pour anticiper ce cas de figure. Archimède disait “Donnez-moi un point d’appui, et je soulèverai le monde”. Le point d’appui en la matière, c’est l’Europe. Ce n’est pas la petite Belgique. J’ai pu m’en rendre compte lors du dernier traité mondial sur le plastique qui s’est tenu à Genève. J’en suis revenu déçu, mais des lignes ont bougé. La Chine, le Brésil et l’Inde se sont rapprochés de l’Europe.

Le climat, dilué dans le nouveau budget de l’Union européenne: “Cela soulève plusieurs inquiétudes majeures…”Récemment, la Commission européenne a assorti son Pacte vert de “simplifications administratives”. Certains osent parler de dérégulation. Quelle est votre position ?

Ces assouplissements interviennent dans un contexte économique difficile. Je le comprends, des moments de souplesse sont parfois nécessaires. Mais il ne faut pas lâcher les objectifs. C’est ce que la Commission essaie de faire.