AboPhénomène culinaire –

Quand la Suisse se pique de piment

Homme souriant avec un chapeau en train de tenir des piments rouges parmi des feuilles vertes.

Vincent Kummerling, producteur de piments à Plan-les-Ouates et coorganisateur du Festi’rouge.

ILO CALZOLARI

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En bref:Les importations d’épices en Suisse ont doublé durant la dernière décennie.Les Suisses préparent davantage de plats exotiques épicés à leur domicile.Le Festi’rouge, festival consacré aux piments, connaît un succès inattendu.Les producteurs locaux développent des cultures variées de piments en Suisse romande.

Tremblement de terre au pays des vaches laitières. Les Suisses mangent de plus en plus épicé. Si, si, si. Eux qui barbotaient dans la double-crème et le fromage fondu aiment désormais avoir la glotte en feu, le front moite et les joues rosées. On n’invente rien. Les statistiques fédérales sont formelles. Les importations d’épices – gingembre et piment en tête – ne cessent d’augmenter. Elles ont doublé entre 2011 et 2021. Et continuent de chauffer depuis.

Sacré changement de paradigme culinaire que voilà. «Quand j’étais enfant, il n’y avait que sel et poivre, voire paprika, dans les cuisines. Désormais, les gens possèdent une véritable gamme d’épices.» C’est Luca Knupfe qui le dit. Flairant la tendance, il vient d’ouvrir l’Aromathèque, le premier magasin lausannois entièrement consacré aux épices. Triées sur le volet, les épices. Le jeune homme a fait sa sélection sac sur le dos, du Sri Lanka au Népal via l’Amérique du Sud, à la recherche des «producteurs les plus respectueux de l’environnement».

Confinement, exotisme et épices

«Le gros changement, c’est que les Suisses se sont mis à cuisiner exotique à la maison, analyse le jeune entrepreneur. Avant, on allait dîner au thaï ou au chinois du coin. Désormais, on ose réaliser les plats d’ailleurs chez soi.» Peut-être les longs mois de confinement ont-ils accéléré la tendance. Cloîtrés à domicile, privés de sorties au bistrot, nombre d’entre nous se sont mis à voyager sur leur gazinière. Merci Covid.

Différents bocaux d’épices avec des étiquettes, dont garam masala et Madras curry, sur une étagère dans une boutique à Lausanne.

Les épices lointaines ont trouvé leur place dans les marmites suisses.

VANESSA CARDOSO

Si les assiettes suisses s’épicent, c’est sans doute aussi que l’ensemble de la société confédérale se métisse. Les vagues successives de migration ont amené avec elles une cascade de saveurs exotiques, qui se sont gentiment glissées dans nos marmites. Ajoutez à ça l’amour du voyage dont font montre nos concitoyens. Et le web gourmand, toujours plus riche, qui met à portée de clic des recettes lointaines naguère inaccessibles.

Fanatisme encyclopédique

Certes, le monde des épices est pluriel. Il y a celles qui parfument gentiment. Et celles qui brûlent sauvagement. Les piments jouissent depuis quelques années d’un engouement spectaculaire, qui frise à l’occasion le fanatisme encyclopédique, particulièrement auprès de la jeunesse. En témoigne le Festi’rouge, manifestation vouée aux tomates et aux piments qui, lors de sa première édition à Plan-les-Ouates (GE) l’an passé, a enfoncé toutes les espérances des organisateurs en termes d’affluence. «On attendait 200 personnes. Il y en a eu bien plus», raconte l’un des coorganisateurs, Vincent Kummerling.

Lucas Malacari présente des piments bio et des sauces piquantes artisanales dans une cuisine à Echallens.

Lucas Malacari, à l’enseigne de Pica & Repica, produit des piments bio et confectionne de sauces piquantes artisanales.

J-P GUINNARD

Vincent est le trésorier de la nouba. Et surtout producteur de piments dans ce sud-ouest genevois. À l’enseigne de Terra Houblon, il aligne une gamme de sauces aux ardences étagées, poudres fumées, pâtes ou sirops pour cocktails. «J’en cultive environ 70 variétés, annonce ce passionné avec quelque fierté. Des plus doux aux plus forts, de toutes les formes et couleurs, venus du monde entier. Ce peut être tellement beau!» Le parcours du jeune homme est emblématique de l’actuelle tendance pimentée. Il était floriculteur. Il s’est mis au maraîchage. «Devant l’ampleur folle qu’a prise le piment, j’envisage de laisser tomber les autres légumes pour ne plus produire que ça.»

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Le clou de Festi’rouge, c’est «le concours de mangeur de piments». Le principe? Une table, 20 participants, dix piments à l’intensité graduelle. Du plus câlin au plus abrasif. «Celui qui reste jusqu’au dernier a gagné.» Simple et radical: on dirait une joute entre Vikings. Le garçon qui a gagné en 2024 va bien, dit-on.

L’incendie buccal

C’est que dans la «pimentosphère» (excusez le néologisme), le challenge physique n’est jamais loin. «Hot One», l’émission américaine adaptée par Canal+, où un animateur interroge une célébrité qui avale des nuggets aux sauces de plus en plus pimentées, a fait des émules. En soirée ou sur les réseaux, on se défie désormais, à celui, ou celle, qui supportera le mieux l’incendie buccal.

Assortiment de piments colorés sur une planche à découper noire avec un couteau vert, produits par Lucas Malacari de Pica & Repica.

Les piments: une folle gamme de looks, de puissance, des couleurs qui fascine.

J-P GUINNARD

Ce qui, de loin, ressemble au concours de zizi en cours de récré. L’univers du piment ne se résume pourtant pas à ces tournois qui piquent. Il a aussi ses esthètes. Luca Malacari par exemple, créateur du projet Pica & Repica pour «expérimenter la culture et la transformation à plus large échelle et transmettre l’amour des piments».

Ingénieur agronome de formation, mastérant en biologie, ce Genevois installé dans le Gros-de-Vaud est tombé dans le bain pimenté lors d’un voyage au Sénégal. «En partageant mes repas avec les autochtones, j’ai fait mon baptême du feu, sourit-il. Je n’étais pas prêt. J’ai dû m’entraîner, développer peu à peu ma tolérance.»

Bombe à retardement

Il plante alors des graines issues des quatre coins du monde dans le jardin de ses parents. Grosse récolte. «J’ai dû valoriser tout ça en préparant des sauces, que je vendais au marché de Noël.» Les mixtures, topissimes, plaisent. Le succès pousse le jeune pimenteur à s’installer avec deux amis agriculteurs en terre vaudoise. Il y cultive en bio une cinquantaine de variétés. Production? Une tonne l’an passé. «Je privilégie la saveur plutôt que la force», assure-t-il. On a goûté sa «Habanero Lava». Un délice à deux vitesses: fruité et acidulé d’abord, puis durablement incendiaire en fin de bouche. Une bombe à retardement en somme, made in The Gros-de-Vaud. Qui l’eût cru?

Festi’rouge, 6 et 7 septembre, 10 h-20 h, chemin d’Humilly, Plan-les-Ouates: visites, concours, animations.

Épices: gare aux fraudes

Dans un numéro récent de «60 millions de consommateurs», une enquête nous a fait dresser les sourcils. La rédaction a passé au crible 40 références d’épices et aromates. Résultats flippants. Deux pots de cannelle sur dix abritaient… des poils de rats. Voire des bouts d’insectes ou des fragments de plume. Explication: les productions bio ne peuvent pas forcément se prémunir contre la présence de bestioles dans les cultures.

L’analyse révèle également la présence fréquente de pesticides, en particulier dans les herbes de Provence et les poivres. Et pas mal d’amidon çà et là, destiné à «charger» le produit, à gonfler le poids à bas prix. Dans l’étude, sept currys sur dix s’avèrent ainsi amidonnés. En Suisse, une étude fédérale datant de 2021 pointait la présence de colorants non autorisés dans certains safrans et paprikas, ainsi que l’ajout d’additifs étrangers dans plusieurs échantillons d’épices: origan, cumin, poivre et paprika. JES

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