Lorsqu’à l’hiver 2024 Emmanuel Macron avait pour la première fois suggéré l’idée de déployer des troupes en Ukraine, la proposition avait suscité une levée de boucliers parmi les Européens. Un an et demi plus tard, les discours ont bien changé. A l’issue du sommet de la “coalition des volontaires”, qui se réunissait à Paris ce 4 septembre, le président français a annoncé que 26 pays, essentiellement du Vieux Continent, s’étaient “engagés” à participer à une “force de réassurance” en déployant des troupes en Ukraine ou en étant “présents sur le sol, en mer ou dans les airs”. L’objectif affiché : dissuader la Russie de toute nouvelle agression à l’issue d’une paix ou d’un cessez-le-feu – un enjeu au cœur des garanties de sécurité promises à l’Ukraine.

Le format de ladite force n’a toutefois pas été précisé. Interrogé sur les effectifs qui pourraient être engagés, Emmanuel Macron a préféré botter en touche pour ne “pas révéler le détail de notre organisation à la Russie”. La question du nombre de soldats envoyés en territoire ukrainien n’en demeure pas moins centrale. En toile de fond, celle de la capacité des Européens à se montrer suffisamment dissuasifs aux yeux de Moscou. Au total, les armées nationales européennes, en comptant le Royaume-Uni, rassemblent aujourd’hui autour d’1,5 million de soldats en service actif. Ce nombre surpasse toutefois de loin les effectifs qui pourraient effectivement être déployés en Ukraine.

Une force de 25 000 hommes ?

Si à ce stade, le détail des pays prêts à participer et la nature de leur engagement restent incertains, le Premier ministre Britannique Keir Starmer avait évoqué en mars dernier – à l’époque où seule une poignée de pays avaient ouvert la porte à l’envoi de troupes – un déploiement de 10 000 hommes. “Avec la contribution de 26 pays, une force pleinement équipée de 25 000 soldats semble aujourd’hui atteignable, jauge le général (2S) Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. Cela commencerait à être crédible dans la mesure où il s’agit avant tout de renforcer les capacités de l’armée ukrainienne qui en compte autour de 800 000.”

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En l’absence de chiffrage officiel, difficile toutefois d’être catégorique. A l’issue de la réunion, la Première ministre italienne Giorgia Meloni a ainsi rappelé que son pays n’enverrait pas de militaires en Ukraine. Outre-Rhin, Berlin envisagerait par ailleurs, selon la presse allemande, de se concentrer sur le renforcement de la défense antiaérienne et des forces terrestres ukrainiennes, sans déployer de troupes au sol. Quid de l’engagement de l’Hexagone ? A court terme, selon plusieurs observateurs militaires, les forces françaises, dont l’armée de terre compte un total de 77 000 fantassins, auraient la capacité de mobiliser une brigade (autour de 5 000 soldats). Soit un nombre de soldats similaire à celui qui avait été déployé au plus fort de l’opération Barkhane au Sahel.

Les effectifs restent difficilement extensibles dans l’immédiat. “Avec les rotations et les repos, avoir un homme sur le terrain implique d’en avoir dans le même temps un deuxième qui se prépare à partir et un troisième revenant de mission, rappelle Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et expert des questions de défense. En parallèle, les forces françaises sont aussi engagées dans d’autres opérations extérieures comme au Tchad, en Côte d’Ivoire, à Djibouti, ou encore en Estonie et en Roumanie.” S’ajoutent à cela environ 7 000 soldats mobilisés quotidiennement dans l’Hexagone dans le cadre de l’opération Sentinelle.

La question du soutien américain

Le nombre de troupes au sol n’est toutefois pas la seule donnée de l’équation. “Il faut garder à l’esprit que cette force serait soutenue par toute une composante aérienne, abonde Xavier Tytelman. Or ce soutien aérien est un démultiplicateur de force très important permettant d’être crédible et dissuasif même sans un volume de troupes gigantesque.” In fine, sans doute l’une des grandes plus-values pour l’Ukraine du déploiement d’une éventuelle force européenne, capable d’engager une aviation massive et moderne, qui manquent encore cruellement à Kiev.

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Avant d’en arriver là, reste à préciser une donnée fondamentale : l’aide apportée par Washington – condition sine qua non fixée par de nombreux Européens pour participer à toute opération. Si Donald Trump a exclu le scénario d’un envoi de troupes de l’US Army au sol, le “soutien américain” aux garanties de sécurité doit être précisé “dans les prochains jours” a fait savoir la présidence française. Difficile pour les armées du Vieux Continent de faire sans l’appui de Washington. “L’autonomie stratégique européenne n’est pas totale en matière de renseignement et de logistique, souligne le général Pellistrandi. Cela inclut des capacités lourdes dont disposent les Américains, comme des avions gros-porteurs pour assurer le ravitaillement.”

Aide américaine ou pas, à Moscou, le scénario d’un envoi de troupes européennes en Ukraine a sans surprise été catégoriquement rejeté. Au lendemain de l’annonce, Vladimir Poutine a même prévenu ce 5 septembre que toute force constituera une “cible légitime”. La veille, le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, avait estimé qu’il ne lui appartenait pas de “décider” à la place des Occidentaux. Le bras de fer ne fait que commencer.

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