Printemps 2020. Iva est ouvrière dans la confection dans une usine d’une petite ville bulgare. Malade, avec parfois plus de 39 degrés de fièvre, le médecin refuse cependant de l’arrêter. Retournant à l’atelier, elle tente de cacher sa toux qui s’impose peu à peu. Bientôt victime d’un malaise, elle est déclarée positive au Covid 19, tout comme son fils, étudiant, qui devait partir en voyage en Allemagne avec sa copine quelques jours plus tard. Progressivement, Iva, considérée comme l’origine de l’épidémie locale, à cause d’un reportage télé sur la fermeture temporaire de l’usine, est mise à l’écart et une enquête pour négligence est lancée contre elle…

Plutôt classique dans sa forme, à la suite de films tels que “Rosetta” ou “Deux jours, une nuit“, “Made in EU” n’en est pas moins un film redoutablement efficace. Histoire du harcèlement et de la mise à l’écart dont est victime une ouvrière bulgare, le film signé Stephan Komandarev (“Taxi Sofia“, “Blaga’s Lessons“) est aussi un constat amer, sur l’entrée des Pays de l’Est dans un capitalisme devenu aussi méprisé que le communisme car encore plus mensonger. Certaines répliques résonnent d’ailleurs comme l’expression d’une terrible déception : « l’Europe qu’on rêvait n’existe pas »… Mais d’autres sujets sont intelligemment abordés dans cette peinture sociale d’une injustice flagrante, qu’il s’agisse du rôle de médias devenus créateurs de polémiques (« si on répète un mensonge à la télé », tout le monde y croit) et relatifs en termes de fiabilité (« tout le monde devient un expert »), ou du sort des migrants économiques (« il n’y a pas de migrant heureux »… « juste satisfaits »).

Il faut dire qu’ici l’imbrication des territoires est un sujet qui traverse tout le film, dans les aspirations des gens, avec le fils qui prépare un voyage en Allemagne, comme dans les liens avec le Covid, avec la femme d’un collègue qui « aide les vieux en Italie » ou le patron italien de l’usine qui revient de voyage, mais est loin, lui, d’être inquiété pour sa responsabilité dans la propagation. Tâchant d’incarner les diverses pressions qui s’exercent sur le personnage principal, faits de multiples sources, le scénario s’intéresse successivement au médecin lui demandant de reprendre le travail malgré sa fièvre importante, au silence réprobateur des collègues, à la surcharge de travail doublée d’un chantage à l’emploi, au mépris de commerçants refusant de la servir et la mettant violemment à la porte, ou encore aux menaces de poursuites en responsabilité concernant l’arrêt de l’usine.

Finalement centré sur les mécaniques du harcèlement, la puissance ambiguë, destructrice ou au contraire dénonciatrice, des médias ou réseaux sociaux, “Made in EU” fait monter la pression, inexorablement. Impressionnante de droiture et de discrétion, Gergana Pletnyova incarne cette femme de bonne volonté prise dans la tourmente d’une crise au départ irrationnelle. Symbole d’une certaine bienséance qui se fait rare, son personnage enterre pratiquement tous les autres, incarnant eux, quelque part, la montée d’un populisme crasse.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur