En juillet dernier, plus de 1 000 personnes, pour la plupart des civils issus de cette minorité ethnoreligieuse, étaient exécutées par les forces de sécurité. D’où notamment les craintes aujourd’hui des Druzes.

L’étincelle : un message vocal attribué à un homme de confession druze

C’est dans la petite localité de Jaramana, majoritairement druze, que Sarah nous accueille. Dans les locaux d’une association qui tente de venir en aide aux habitants de sa province de Soueïda, très difficile d’accès depuis les derniers massacres. Après l’espoir suscité par la chute du régime de Bachar Al-Assad, elle craint le pire : “Quand le régime de Bachar Al-Assad est tombé, nous étions très très heureux. C’était le rêve de mon père que d’assister à la chute du régime de Bachar. Mais peu à peu, nous avons découvert leur vrai visage.”

La situation s’est vite dégradée, avec un premier incident en avril dernier. L’étincelle : un message vocal attribué à un homme de confession druze qui maudit le prophète. L’enregistrement est partagé sur les réseaux sociaux et met le feu aux poudres. Bilan : plusieurs dizaines de morts et autant de blessés dans des affrontements entre les forces gouvernementales et des combattants issus de cette minorité druze. C’est à ce moment-là que la vie de Sarah, 22 ans, étudiante en économie, a basculé :

“À l’université, on a commencé à sentir qu’on n’était plus les bienvenus. On nous faisait des commentaires sectaires du genre : ‘Vous êtes druzes, vous êtes des traîtres, on ne veut pas de vous. Vous êtes des agents de l’étranger, vous devez perdre votre accent et prendre le nôtre.’ On a dû faire profil bas un peu pour finir le semestre. Ça, c’était en avril dernier. On avait peur, mais aujourd’hui, ce que l’on vit, c’est beaucoup plus grave. Lorsque le semestre d’été a commencé, ça a coïncidé avec les événements de Soueïda, le 13 juillet. Quelques jours plus tard, les étudiants de l’université ont publié un communiqué sur les réseaux sociaux qui disaient, – et c’est ça qui nous a terrifiés : ‘Nous ne voulons plus de vous, de ces imposteurs. Si vous revenez, vous le regretterez, vous subirez notre punition. Après ça, j’ai arrêté d’aller à l’université et à la moindre occasion, je quitterai le pays, sans regarder derrière moi.”

“Je pars dès que j’obtiens mon visa. Pour Dubaï. Je m’en vais avant qu’il ne soit trop tard. “

Depuis, Sarah reste la plupart du temps chez elle, comme Marwan, également 22 ans. Mais contrairement à Sarah, qui vient d’entamer les formalités pour quitter la Syrie, Marwan, lui, est sur le départ, prévu dans les prochains jours. Marwan confie :

“J’ai très peur de sortir de chez moi. Tout à l’heure, j’ai pris le bus, j’ai vu une voiture qui avait un autocollant qui disait ‘Rasage de moustache gratuit’, accompagné de son numéro de téléphone. Il visait les Druzes. C’est à nous qu’il s’adresse. C’est ce qu’ils disaient avant d’aller tuer les nôtres. Mon père a été assassiné lors des événements du mois de juillet. C’était un civil désarmé de 70 ans ! Je ne sais même pas où il a été enterré. C’est quand j’ai appris sa mort que j’ai décidé de quitter le pays. Je ne peux même plus marcher dans les rues de Damas. C’est sûr, je pars. J’ai pris ma décision. Quand ? Dès que j’obtiens mon visa. Pour Dubaï. Je m’en vais avant qu’il ne soit trop tard.”

Depuis les tueries du mois de juillet, Jaramana est plongée dans une atmosphère d’angoisse et de méfiance. La confiance avec le nouveau pouvoir est rompue, affirme Salman, 25 ans, ingénieur civil, également déterminé à s’exiler pour échapper aux violences confessionnelles :

“Nous sommes encerclés dans cette ville de Jaramana. On ne peut pas en sortir sans prendre de risque. Je n’ai pas d’autre choix que de partir, car être druze, c’est être en danger dans le pays. En grand danger. À l’extérieur, n’importe qui disposant d’une arme peut vous tirer dessus et vous tuer. La solution, c’est un État décentralisé et fédéral. Cela permettra de maintenir une Syrie unie et en paix. Si cette solution n’est pas appliquée, nous vivrons une guerre longue et dévastatrice.”

Un constat largement partagé au sein de cette minorité druze et notamment parmi ces jeunes qui rêvent d’autonomie mais qui sont poussés à fuir face à la détermination des nouveaux maîtres de Damas à vouloir imposer un pouvoir central fort, au risque de provoquer un nouveau cycle de violences.