Bart De Wever, si affûté, si tranchant lorsqu’il traite des finances publiques et de la lutte contre le chômage de longue durée, est aussi un indécrottable romantique. Il en est convaincu : c’était mieux avant, il y a longtemps. Du moins pour la Flandre et les Flamands.
C’est ainsi que le premier ministre belge a de nouveau qualifié la division des anciens Pays-Bas au XVIe siècle de «plus grande catastrophe qui nous soit jamais arrivée», réitérant une position déjà exprimée en juin dernier.
Cette sortie s’est inscrite dans un plaidoyer en faveur d’une intégration renforcée au sein du Benelux (une «union intime») lancé lors de la conférence HJ Schoo qui marque le début de l’année parlementaire néerlandaise.
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Le Belge y a fait référence à l’article 350 du traité sur le fonctionnement de l’UE qui offre aux Etats du Benelux (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) la possibilité de coopérer davantage que ne le font leurs partenaires européens. «Les possibilités sont si énormes et si cruciales que nous pourrions faire de l’article 350 un slogan», a-t-il jugé.
Une sortie qui résonne avec l’actualité puisque ce vendredi 5 septembre, à Luxembourg, a été fêtée la journée Benelux et les 65 ans de la libre circulation des personnes à l’intérieur de ce territoire, précurseur des futurs accords de Schengen.
Le XVIe siècle flamand, une période faste
Pour comprendre la nostalgie du nationaliste flamand, il convient de revenir sur la période faste que fut effectivement la première moitié du XVIe siècle dans nos contrées. Charles-Quint est au pouvoir et les territoires qui forment aujourd’hui grosso modo la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas constituent un ensemble unifié prospère au sein des Dix-Sept Provinces. Cette région représente alors l’un des pôles économiques les plus dynamiques d’Europe.
La Flandre brille plus particulièrement dans l’empire des Habsbourg, avec des centres urbains comme Bruges, Gand et surtout Anvers, devenu un carrefour commercial et financier majeur grâce à son port et à l’établissement de la première bourse en 1531. L’économie est en pleine forme. La société est dominée par une bourgeoisie marchande influente structurée en corporations. Ce qui n’empêche pas à l’occasion Charles-Quint de la crosser lorsqu’elle se fait trop remuante.
Cette prospérité s’accompagne d’un rayonnement culturel exceptionnel. La Flandre est un foyer artistique de premier ordre, notamment avec l’influence de Jérôme Bosch et des primitifs dans la peinture.
Mais cette unité va se briser. En 1581, le divorce est consommé entre un Nord protestant (les futures Provinces-Unies) et un Sud catholique resté dans le giron de l’Espagne de Philippe II. La chute d’Anvers marque le déclin économique du Sud, mettant fin à cette prospérité partagée.
Les obstacles contemporains à l’intégration
Cette époque-là fait rêver l’historien de formation qu’est Bart De Wever. Aujourd’hui pourtant, plus d’un expert souligne les limites d’une intégration poussée entre la Belgique et les Pays-Bas. En juin dernier, dans les colonnes du quotidien néerlandais De Volkskrant, l’historien Rolf Falter mettait en garde contre une vision idéalisée du passé, rappelant que «les orangistes ne doivent pas croire qu’une unité grande-néerlandaise a jamais existé. Déjà au Moyen Âge, il y avait des rivalités entre la Hollande et le Brabant».
Les divergences sont profondes. Falter observe que «le fossé entre la Flandre et les Pays-Bas est plus grand que celui entre la Wallonie et la France», notamment en raison d’héritages religieux distincts. Si les deux territoires partagent la même langue, ils ont évolué différemment : «La Flandre est beaucoup plus belge que prévu dans ses méthodes, nominations politiques et appétit fiscal», note l’historien.
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Il faut y ajouter une tension structurelle entre les visions néerlandaise et belge de l’intégration européenne. Les Pays-Bas privilégient une coopération entre États forts, préservant leur souveraineté nationale, tandis que la Belgique penche traditionnellement vers une approche plus fédérale et une intégration institutionnelle poussée.
Les acquis concrets du Benelux
Dans l’immédiat, et de façon plus terre à terre, le premier ministre belge cherche à raviver les relations entre les trois États du Benelux, comme l’ont régulièrement fait ses prédécesseurs, au moins pour la forme. Pionnier de l’intégration, le Benelux reste un outil pour tenter de s’affirmer dans le concert européen, bien plus cacophonique aujourd’hui avec ses vingt-sept États membres que lorsque la Communauté économique européenne (CEE) de 1957 en comptait six.
Cette vision s’inscrit dans une stratégie plus large de renforcement de l’autonomie européenne face aux défis mondiaux. Jeudi, à la conférence HJ Schoo, Bart De Wever a estimé que «notre marché intérieur est notre principale destination commerciale». Il a plaidé pour un marché des capitaux et un marché des services plus cohérents (téléphonie, énergie…). Il a étrillé l’asile et l’immigration familiale en provenance de pays hors UE tout en préconisant une «immigration de travail sélective», qu’importe son origine.
Il a soutenu également la conclusion d’accords commerciaux avantageux au sein de l’Union européenne et critiqué le «masochisme vert» qui limite selon lui l’exploitation des ressources naturelles. Le tout alors que les Pays-Bas s’avancent vers les législatives du 29 octobre prochain, élections provoquées par le retrait du Parti de la liberté (PVV) de Geert Wilders qui a entraîné la chute du gouvernement Schoof au terme d’un désaccord profond sur la réforme de la politique d’asile.
Une nostalgie opportune sur le plan national
Le discours de Bart De Wever fait écho à d’autres déclarations du Belge, et notamment celles qu’il tint lors d’un mini-sommet du Benelux organisé en mars dernier à Senningen, au Luxembourg. Il avait alors souligné que c’était «un honneur que cette première visite internationale en tant que premier ministre de mon pays ait lieu dans le cadre du Benelux, qui existait avant l’Union européenne et l’Otan». Les discussions avaient principalement porté sur le conflit ukrainien, la lutte contre le crime organisé et l’immigration illégale.
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Aujourd’hui, faire la Une des médias en glorifiant le XVIe siècle a au moins un mérite : celui de faire oublier un instant à l’électeur les turpitudes nationales. Ces derniers jours, le gouvernement De Wever s’est déchiré sur ce qu’il faut entendre par sa reconnaissance d’un État palestinien. Le chemin vers l’Assemblée générale de l’ONU qui se tiendra du 9 au 23 septembre s’annonce pour lui long et rocailleux.