Programme d’économies –

Berne persiste à réduire sa dette. Un remède pire que le mal?

Karin Keller-Sutter discutant de la politique migratoire à Berne, le 19 mai 2022, portant une robe bleue.

Karin Keller-Sutter, ministre des Finances et présidente de la Confédération.

Nicole Philipp

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En bref:La dette suisse devrait atteindre 143,1 milliards en 2026 selon les prévisions actuelles.Le taux d’endettement est toutefois en baisse et très inférieur à celui de nos voisins européens.Les Verts proposent d’assouplir le mécanisme du frein à l’endettement fédéral.L’ancien ministre Pascal Broulis s’oppose fermement à tout changement du système actuel.

L’endettement de la France qui représente 114% de son PIB fait la une des médias. Avant de tomber, le premier ministre Francois Bayrou a tenté d’alerter l’opinion sur le danger que cela représente. Si la situation n’a rien à voir avec la Suisse – on est ici à environ 17% – la dette s’invite aussi dans le débat politique.

L’enjeu? C’est le mécanisme du frein à l’endettement. Est-il ou non trop rigide? Cette question est un serpent de mer de la politique fédérale. Il s’invite une nouvelle fois sous la Coupole fédérale par le biais d’une motion des Verts que défend Gerhard Andrey (FR).

La dette peut être abordée en chiffre absolu ou en pourcentage du PIB. Et en fonction du choix de la lorgnette, les histoires racontées sont bien différentes. Ce qui peut avoir un impact politique direct sur le porte-monnaie du citoyen. Explications.

La dette augmente, mais le taux d’endettement baisse

Prenons d’abord la dette en chiffre absolu. En raison d’un déficit de financement, cette dernière devrait s’accroître de 800 millions en 2026 pour atteindre 143,1 milliards. C’est notamment cette hausse des dépenses que veut freiner le Conseil fédéral, qui – par l’intermédiaire de la ministre des Finances, Karin Keller-Sutter – propose un vaste programme d’économies.

Mais ce chiffre de 800 millions, on peut l’analyser différemment, si on le met en perspective avec l’évolution du produit intérieur brut (PIB). Huit cents millions, cela correspond à une augmentation de la dette de 0,6%. Or, dans le même temps, le PIB, lui, va croître de 1,7%. Ce qui signifie que le taux d’endettement de la Suisse va diminuer. Alors qu’il était de 17,2% en 2024 et de 17% en 2025, il atteindra 16,8% en 2026. Et même 15,7% d’ici à 2029, selon les chiffres avancés dans le budget 2026.

Non seulement notre taux d’endettement diminue, mais il a aussi de quoi faire rougir nos voisins. Si l’on prend l’indicateur des finances des administrations publiques, chiffre qui cumule la dette de l’ensemble des collectivités (Confédération, cantons et communes) et qui permet une comparaison internationale, le taux d’endettement de la Suisse, en 2025, est de 25,1%. Au même moment, l’Allemagne est à 66,6%, la France à 117,1% et l’Italie à 137,1%. Le fait que la moyenne de la zone euro soit à 91% montre à quel point la Suisse surclasse ses concurrents.

La Suisse «se met des bâtons dans les roues»

Pour Gerhard Andrey (Les Verts/FR), ce simple constat permet de comprendre pourquoi le programme d’économies de la Confédération ne se justifie pas.

Gerhard Andrey, conseiller national Vert de Fribourg, pose dans une pièce avec des tableaux noirs derrière lui, en costume.

Gerhard Andrey, conseiller national (Les Verts/FR).

VQH

«Sur le plan financier, la Suisse se comporte comme une famille aisée bénéficiant d’un prêt hypothécaire avantageux, mais qui consacre néanmoins chaque centime à le rembourser, avant d’expliquer à ses enfants qu’il n’y a pas d’argent pour leurs études, pour acheter une voiture électrique, ou pour faire un don à Médecin sans frontières, argumente l’écologiste. Et ce, alors qu’un compte d’épargne bien garni reste intouché.»

Pour Gerhard Andrey, la Suisse se met ainsi elle-même «des bâtons dans les roues». «Malgré un endettement très bas, nous freinons nos investissements dans l’éducation, les infrastructures ou la protection du climat.»

Pour changer ce paradigme, son parti a donc déposé une motion dont le but est de modifier la loi, afin «que les déficits et les excédents de la Confédération puissent être gérés de manière symétrique». Ce qui aurait pour effet d’adapter le frein à l’endettement. Le tout en restant compatible avec le principe constitutionnel, puisque le changement ne concernerait que la loi d’application.

Actuellement, le mécanisme n’est pas équivalent quand on parle de perte ou d’excédent. Lorsque la Confédération enregistre un déficit, elle doit le corriger dans les années suivantes, à savoir faire des économies ou augmenter les recettes. «Par contre, elle met de côté les bénéfices du passé dans une tirelire déjà bien remplie. Le mécanisme actuel conduit, à long terme, à une suppression complète de la dette, explique Gerhard Andrey. Or, les scientifiques estiment qu’une telle situation n’est pas souhaitable, dans la mesure où des dettes légères sont considérées comme un outil essentiel et efficace pour mettre en œuvre des objectifs politiques.»

«La dette, c’est un poison»

De ce projet, le Conseil fédéral n’en veut pas. Dans sa réponse à la motion, le Département des finances de Karin Keller-Sutter précise que le parlement a déjà eu plusieurs fois l’occasion de rappeler son attachement au fonctionnement actuel du frein à l’endettement.

Assouplir ce mécanisme? Pour le sénateur Pascal Broulis (PLR/VD), c’est un no-go. «Dans l’absolu, l’État ne devrait pas avoir de dettes, car les prestations étatiques devraient être équivalentes aux rentrées fiscales. Et inversement, développe l’ancien grand argentier du Canton de Vaud. C’est parce que cette situation idéale est impossible que la dette existe. Mais cette dernière doit servir de bouée de sauvetage et pas à autre chose.»

Pascal Broulis, Conseiller aux États PLR Vaud, gesticule pendant une interview à Lausanne sur le bouclier fiscal et le Département des Finances.

Pascal Broulis, conseiller aux États (PLR/VD)

Yvain Genevay / Tamedia

Faire un programme d’économies, alors que notre taux d’endettement diminue, n’est-ce pas contre-intuitif? «Une dette, vous devez la payer. Tôt ou tard. Tous les ménages le savent. Il n’est pas acceptable de la faire peser sur les prochaines générations, car c’est un poison. Il faut donc la réduire à chaque fois que c’est possible.» Et de rappeler que le frein à l’endettement que connaît la Suisse est précisément ce qui a permis au pays de s’en sortir sans dommage lors de la crise du Covid. «C’est pour des situations exceptionnelles telles que celle-là qu’il faut utiliser la dette. Et pas simplement pour faire tourner un budget.»

Si la motion des Verts n’a guère de chances de passer, on sent que les fronts ne sont pas figés entre gauche et droite. Il y a un an, voici ce que disait Gerhard Pfister, alors président du Centre: «Durant plusieurs années, la Confédération a fait des excédents. Ils ont permis de réduire la dette. Et c’est important de ne pas laisser de dettes aux futures générations. Cela étant dit, quand vous avez besoin d’investissements et que vous ne pouvez pas les réaliser à cause du frein à l’endettement, vous laissez aussi une forme de dette.»

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