La politique française de lutte contre les violences faites aux femmes de nouveau passée au crible. Dans un rapport, dévoilé ce mardi 16 septembre par le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) du Conseil de l’Europe, les «progrès réalisés par la France» depuis l’évaluation de référence de 2019 sont salués, malgré des «lacunes» encore majeures, à propos desquelles «des mesures urgentes» sont attendues.
S’appuyant sur des rapports transmis par les autorités, des associations spécialisées et sur une visite d’évaluation de cinq jours en France, l’organisme vise à mesurer le respect de la Convention d’Istanbul, texte de référence de la lutte contre les violences faites aux femmes, ratifié par la France en 2014. Ce bilan en demi-teinte, dressé sur 73 pages, souligne un manque de coordination des politiques et mesures de lutte contre ces violences, déjà relevé par la Cour des comptes, et vient appuyer la nécessité d’une loi intégrale. Les travaux entrepris par le ministère chargé de l’Egalité sont, pour l’heure, suspendus en raison de l’instabilité gouvernementale.
Depuis le Grenelle contre les violences conjugales de 2019, visant à mettre en actes la «grande cause du quinquennat» promise par Emmanuel Macron, une augmentation «substantielle» des moyens alloués est relevée, en particulier pour la lutte contre les violences conjugales (126 millions d’euros en 2019, 171 millions en 2023). Un effort budgétaire vite tempéré par les experts du Grevio, puisque celui-ci ne permet pas de suivre l’accroissement des signalements auprès des associations, par ailleurs confrontées au «morcellement des sources de financement» et à une mise en concurrence avec des structures non spécialisées.
En écho à un récent rapport de la Fondation des femmes indiquant que 50 % des associations interrogées ont dû réduire leurs activités, le GREVIO invite la France à «poursuivre les efforts visant à assurer un financement suffisant et proportionnel à l’accroissement des besoins des politiques et mesures de prévention et de lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes».
Les experts saluent des «efforts louables» concernant les violences conjugales : introduction de dispositifs tels que les bracelets antirapprochement, déploiement des téléphones grave danger et instauration des ordonnances provisoires de protection immédiates, délivrables depuis juin 2024 en 24 heures. Un dispositif encore trop peu utilisé (5 917 demandées en 2021) que le Grevio appelle à renforcer en ouvrant la possibilité d’en allouer «sans délai» en cas de danger immédiat et ce «même en l’absence de demande de la victime».
La reconnaissance de l’emprise, du suicide forcé et l’avancée de la jurisprudence sur la prise en compte de la notion de contrôle coercitif, bientôt sanctuarisée dans la loi, constitue également des avancées notables. L’accessibilité de la ligne d’écoute nationale 3919, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, le «pack nouveau départ» permettant de faciliter la sortie des violences ou encore l’aide universelle d’urgence sont également salués. Cette dernière n’est toutefois pas accessible aux femmes sans papiers, particulièrement vulnérables aux violences.
Malgré ces avancées sur les violences conjugales, les autres types de violences, en particulier sexuelles, restent encore dans l’angle mort de l’action publique. Alors que la société a pris conscience de «l’ampleur» de ces violences grâce au mouvement MeToo ou encore au procès des viols de Mazan, «l’action politique pour répondre à ce problème n’est pas encore à la hauteur du défi», écrit le Grevio.
Les experts appuient leur démonstration en indiquant que les associations spécialisées sur les violences sexistes et sexuelles, peu abondées en ressources, doivent souvent recourir «à des financements privés», ou encore que le recueil des preuves médico-légales sans plainte n’est toujours pas généralisé. Quant aux unités médico-judiciaires, elles demeurent très difficilement accessibles en milieu rural et en outre-mer. Le développement de Centres régionaux spécialisés en psychotraumatisme ne permet pas non plus de répondre à la demande, laissant souvent des victimes attendre de longs mois avant d’être prises en charge.
La réponse judiciaire témoigne à elle seule d’une mutation toujours inaboutie. La création de pôles judiciaires spécialisés sur les violences intrafamiliales avec des magistrats référents a amélioré le partage d’information, participant à accroître le taux de poursuites et de condamnations (+ 123 % entre 2017 et 2022). En remontant la chaîne pénale, cette hausse est aussi à corréler avec plusieurs dispositifs de facilitation de plainte, en ligne ou à l’hôpital. Malgré tout, les acteurs de la chaîne pénale ne sont toujours pas suffisamment formés, en particulier à reconnaître les violences psychologiques et à répondre aux besoins spécifiques des femmes exposées à plusieurs discriminations.
Certaines avancées législatives sont parfois contournées par les procureurs, comme l’interdiction de médiation entre la victime et l’agresseur en cas de violences conjugales (proscrite sauf en cas de demande de la victime). Le Grevio se dit aussi «vivement préoccupé» par des «médiations fréquemment proposées dans les cas de violences sexuelles au travail». L’accueil par les forces de l’ordre est, lui, toujours très «aléatoire», ce qui nuit à la confiance des victimes et participe à une victimisation secondaire que le rapport dénonce. Des refus fréquents d’enregistrement des plaintes sont toujours observés, avec une minimisation des faits et une non-prise en compte des violences psychologiques ou numériques. Des mains courantes, pourtant proscrites, sont aussi toujours enregistrées en lieu et place de plaintes. Le manque d’information sur les suites données aux plaintes et la rareté des interprètes pour les femmes ne parlant pas français entravent là encore l’accès à la justice.
Particulièrement alarmant et représentatif de cette différence de traitement avec les violences conjugales, le taux de non-poursuite des plaintes pour violences sexuelles atteint 83 %, un chiffre grimpant à 92 % en cas de viol, selon de nouvelles données de l’Institut des politiques publiques. La correctionnalisation des viols, c’est-à-dire la requalification de ce crime en délit d’agression sexuelle, a diminué depuis 2019 mais persiste malgré la création très débattue des cours criminelles départementales visant à y répondre. «La réponse pénale à cette forme de violence reste largement insuffisante et contribue ainsi à maintenir un climat d’impunité pour cette forme de violence», résume le rapport.
Alerté par l’aggravation du sexisme et des stéréotypes de genre chez les jeunes hommes, exacerbée par la pornographie et l’exposition à des contenus masculinistes sur les réseaux sociaux, le Grevio déplore un manque de campagnes de prévention régulières «couvrant toutes les formes de violences». L’élaboration d’un programme pour l’éducation à la vie sexuelle et affective, mis en place à cette rentrée malgré une offensive réactionnaire, est également vue d’un bon œil. Jusqu’à présent, seuls 15 % à 20 % des élèves bénéficiaient des trois séances annuelles obligatoires du CP à la terminale. Mais là encore, l’absence de perspective intersectionnelle laisse tout un pan de la population de côté. L’instance se dit ainsi «préoccupée» par des informations «indiquant que les enfants en situation de handicap ne suivant pas une scolarité en milieu ordinaire n’ont pas d’accès à l’éducation à la sexualité». Un manque d’autant plus grave que les filles et femmes en situation de handicap sont surexposées aux violences.