Symboliquement, le forum économique de rentrée de la Chambre de commerce consacré aux conséquences de l’inaction face aux transitions énergétique, technologique et démographique a commencé par ce dernier sujet. Maxime Sbaihi, économiste spécialisé dans le vieillissement des populations, «un des rares économistes à alerter sur les conséquences du vieillissement de la population et de la dénatalité et aujourd’hui, alors que l’Europe semble véritablement prendre conscience de ce problème. Ses travaux font référence en la matière», comme l’a présenté le directeur général de la Chambre de commerce, .
L’Europe décline
Pour Maxime Sbaihi, la démographie est une tendance tout aussi puissante que la géopolitique ou le climat, mais elle est souvent ignorée ou méprisée. Une erreur. «Il faut regarder la démographie dans le blanc des yeux et la placer au même niveau que les autres mégatendances.» La mégatendance? «La population mondiale va décliner au cours de ce siècle, ce qui est un phénomène inédit. Ce déclin est dû à une baisse volontaire des taux de fécondité, qui est une révolution absolue. Et il touchera tous les continents.»
Au premier rang, l’Europe, «le continent le plus vieillissant, avec un âge médian autour de 45 ans. Les maternités se vident et les maisons de retraite se remplissent. Le solde des naissances y est négatif depuis 2012 et depuis cette date, les moins de 20 ans sont minoritaires par rapport aux plus de 60 ans. Un fait inédit.» L’est et le sud du continent sont l’épicentre de la décroissance démographique du continent. «Certains pays comme l’Italie, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie et l’Ukraine pourraient perdre 40%, voire la moitié de leur population. Cela risque de fragmenter l’Europe.»
Le paradoxe luxembourgeois
«Dans le contexte européen, le Luxembourg, avec un taux de fécondité bas de 1,4, dans la moyenne basse européenne, se distingue par un double solde positif – naturel et migratoire. C’est un des rares pays de l’UE dans cette situation. Son âge médian est plus jeune (39-40 ans) que la moyenne européenne (45 ans), ce qui signifie qu’il vieillit moins vite que ses voisins. Cependant, le Luxembourg fait face à la facture démographique la plus élevée de tous les pays européens (11 points de PIB) en raison du vieillissement. Cette charge est liée à un âge de départ effectif à la retraite parmi les plus précoces d’Europe.»
«Le Luxembourg devra financer ce coût du vieillissement alors que les niveaux de dette publique sont déjà élevés, et qu’il faut également financer la remilitarisation et la transition climatique.» Le Luxembourg doit également se préparer à une accentuation de la concurrence en Europe pour attirer les immigrés qualifiés. «Des pays comme le Luxembourg, dépendants de l’immigration, devront jouer des coudes face à des pays comme la France ou l’Allemagne, qui intensifient leurs propres stratégies migratoires.» Comment réagir?
Basse fécondité et gérontonomie
Face à cette situation, Maxime Sbaihi voit trois remèdes possibles: la voie de la procréation – comprendre relancer les naissances –, la voie de l’immigration – «une rustine pragmatique», qui ne résout pas la question de la fécondité à long terme, car les taux de fécondité des immigrés tendent à s’aligner sur ceux des populations locales – et la voie de la robotisation – «qui, si elle offre un potentiel économique, soulève des questions sociétales sur le remplacement de besoins trop humains, par exemple dans les services de soins».
Trois remèdes qu’il faudra mixer en fonction des particularités locales, estime l’économiste. L’urgence est selon lui d’éviter un double piège. D’abord, celui de la basse fécondité. Comprendre «de moins en moins d’enfants qui font de moins en moins de futurs parents, qui en plus font de moins en moins d’enfants, et donc une population de moins en moins jeune. De plus, moins d’enfants engendre une nouvelle norme sociale où, par mimétisme, les comportements s’ajustent.»
Ensuite, la gérontonomie. C’est-à-dire un système dans lequel «les décisions politiques favorisent une population vieillissante à cause de son poids électoral au détriment des jeunes, qui sont confrontés à une solidarité intergénérationnelle de plus en plus lourde pour eux, avec en prime des niveaux de vie qui augmenteront beaucoup moins. Dans les années 70, on pouvait doubler son niveau de vie en travaillant en 15 ans et donc on faisait des enfants sans trop se poser de questions puisqu’on savait qu’il y avait un vent porteur de l’économie. Aujourd’hui, il faut 80 ans de travail, de vie active pour doubler son niveau de vie.»
Pour lui, «il est urgent de réinvestir dans la jeunesse». Est-ce un message audible dans un contexte où la question qui polarise la vie politique est celle du financement des pensions? Question ouverte.