Le 19 septembre dernier, ArianeGroup a annoncé que le premier prototype de fusée réutilisable conçu sur le continent, baptisé Themis, a été installé sur son pas de tir au centre spatial d’Esrange, en Suède. Avec cette étape, l’Europe affiche clairement son ambition d’entrer dans la course à la réutilisation des lanceurs, domaine aujourd’hui dominé par SpaceX et son patron Elon Musk.

Une arrivée spectaculaire en Suède

Le convoi exceptionnel qui a transporté Themis depuis le site d’ArianeGroup aux Mureaux jusqu’au nord du cercle polaire suédois donne la mesure du défi. Long de 30 mètres et d’un diamètre de 3,5 mètres, le démonstrateur a traversé 3 000 kilomètres et cinq pays en deux semaines avant d’être érigé sur sa rampe de lancement. Son installation marque le début d’une campagne d’« essais combinés » cruciale, destinée à valider l’interface entre le lanceur et son pas de tir, notamment sur les plans mécaniques, électriques et fluidiques.

L’épreuve du cryogénique

Si les premières validations au sol, baptisées T0 et T1G, ont permis de tester la manipulation de l’oxygène et du méthane liquides, ainsi que l’allumage de Prometheus sur banc d’essai. L’étape T1H, programmée à Esrange, doit désormais prouver la capacité opérationnelle en vol.

Ces tests préparent l’étape la plus délicate : les essais en conditions cryogéniques avec du méthane liquide à -162 °C, le carburant choisi pour Themis. Le moteur Prometheus, premier modèle européen réutilisable et réallumable délivrant 100 tonnes de poussée, devra démontrer sa robustesse dans ces conditions extrêmes. Conçu pour être peu coûteux et modulable, Prometheus est l’un des piliers de la future architecture européenne de lanceurs réutilisables.

L’instant de vérité : le « hop test »

Si ces validations se déroulent comme prévu, Themis effectuera prochainement son premier vol d’essai à basse altitude. L’objectif : s’élever de quelques dizaines de mètres avant d’atterrir verticalement. En effet, là où les lanceurs classiques s’abîment en mer après une mission, Themis permettra d’envisager une remise en service, réduisant considérablement les coûts.

Une coopération européenne structurante

Themis s’inscrit dans le cadre d’un contrat passé avec l’Agence spatiale européenne ESA. Il bénéficie également du programme européen SALTO – reusable Strategic space Launcher Technologies & Operations -, lancé en décembre 2022 sous l’égide de la Commission européenne et coordonné par ArianeGroup. Ce projet fédère 25 partenaires issus de 12 pays, allant de grands industriels – Safran, MT Aerospace, Thales Alenia Space Belgium – à des instituts de recherche – CNES, ONERA, DLR – et des start-ups spécialisées – Shark Robotics, SpaceForest, Réaltra -. L’enjeu est de créer en Europe un écosystème technologique capable de rivaliser avec le modèle intégré de SpaceX.

Alors qu’Elon Musk a déjà prouvé la rentabilité des lanceurs réutilisables avec Falcon 9, l’Europe accuse plusieurs années de retard. Si Themis réussit son « hop test », l’Europe pourra s’imposer dans la prochaine phase de la conquête spatiale : celle de l’accès à l’orbite à bas coût, indispensable au développement des constellations de satellites et aux futurs grands programmes lunaires.




Sabine Ortega


Sabine Ortega

Journaliste emploi, formation,
et nouvelles technologies