Mette Frederiksen, Première ministre du Danemark, n’a pas mâché ses mots: l’Europe doit se préparer à une intensification des attaques hybrides menées par la Russie. Dans un entretien au Financial Times, elle a averti que ces offensives «ne font probablement que commencer» et qu’elles visent avant tout à «diviser» les Européens.
Selon elle, l’OTAN ne peut plus se contenter d’une posture réactive. Violations de l’espace aérien, cyberattaques, drones mystérieux au-dessus de sites militaires ou encore sabotages d’infrastructures: autant d’incidents que Mette Frederiksen décrit comme les pièces d’un puzzle stratégique, dont l’objectif est clair: «Nous menacer, nous déstabiliser et nous opposer les uns aux autres».
Le rappel a été brutal la semaine dernière, lorsque des drones non identifiés ont provoqué la fermeture temporaire de l’aéroport principal de Copenhague et de plusieurs aéroports régionaux. Des engins similaires ont été repérés près de bases militaires, ce que des diplomates européens ont présenté comme «un signal d’alarme» pour toute l’Union.
Ces incursions surviennent après une série d’incidents plus directement attribués à Moscou. Le mois dernier, l’aviation russe –drones comme avions avec pilotes– a multiplié les intrusions dans l’espace aérien de l’OTAN. Pour la première fois depuis 2022, des chasseurs alliés ont abattu des drones russes au-dessus de la Pologne. À deux reprises, l’Alliance a convoqué des réunions d’urgence, dénonçant des «actes irresponsables». Dans la foulée, elle a lancé une nouvelle opération de surveillance baptisée «Eastern Sentry», mobilisant des moyens supplémentaires venus du Danemark, de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne.
Quelle réponse apporter?
Pour Mette Frederiksen, la menace dépasse largement le seul problème des drones. Elle inclut aussi les sabotages d’infrastructures recensés depuis un an –incendies criminels, coupures de câbles sous-marins, cyberattaques visant l’Allemagne, la Pologne, les pays baltes ou le Royaume-Uni. Elle martèle que répondre à cette offensive ne consiste pas seulement à acheter de nouvelles technologies: «Ce ne sera pas uniquement avec des capacités renforcées que cela s’arrêtera. Ce type de guerre joue justement sur notre vulnérabilité aux divisions.»
Cette semaine, Copenhague accueille deux sommets consacrés à la sécurité européenne et à l’aide à l’Ukraine. Le premier réunit les membres de l’Union européenne, le second, élargi à des partenaires comme le Royaume-Uni et l’Ukraine, se tiendra en présence du secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte. Parmi les pistes discutées figure la mise en place d’un «mur de drones» le long des frontières orientales de l’Europe –une barrière numérique et matérielle destinée à renforcer la défense aérienne face à Moscou.
Une mobilisation globale
Le Danemark, pris de court par les intrusions récentes, a annoncé l’achat urgent de capacités anti-drones. Plusieurs alliés, dont l’Allemagne, la France, la Norvège ou la Finlande, ont proposé leur aide. Même la Suède, rivale historique de Copenhague, a offert ses technologies, ce qu’un responsable danois a jugé «particulièrement humiliant». Mette Frederiksen, elle, a relativisé: «Nous ne sommes pas les seuls à vivre de tels épisodes».
Si l’est de l’Europe réclame depuis longtemps une priorité donnée aux défenses aériennes, ce nouveau projet suscite quelques grincements dans les pays du sud et de l’ouest, inquiets de financer des systèmes dont l’essentiel des bénéfices profiterait à leurs voisins du nord et de l’est. Mais les diplomates engagés dans les préparatifs du sommet se disent confiants: un compromis devrait émerger, avec validation finale lors du prochain rendez-vous de Bruxelles.
À ces tensions externes s’ajoutent celles venant de Washington. Le président Donald Trump a à plusieurs reprises réitéré son intérêt pour le Groenland, territoire autonome sous souveraineté danoise, allant jusqu’à évoquer la possibilité d’en prendre le contrôle par la force. Une provocation qui n’a pas empêché Mette Frederiksen de défendre la réponse qui y fut faite: «Je suis très fière de la façon dont le Groenland a géré cette situation difficile.» Elle a appelé à renforcer la coopération sécuritaire entre tous les États arctiques –à l’exclusion de la Russie, bien sûr.
Son avertissement sonne donc comme une double alerte: le danger immédiat que représenteraient les manœuvres hybrides de Moscou, mais aussi la fragilité persistante d’une Europe qui doit, selon elle, comprendre que l’enjeu dépasse chaque incident isolé. «Nous devons être très clairs: tout cela n’est que le début.»