Guerre hybride ou conflit de basse intensité, quel que soit le qualificatif choisi, la succession d’essaims de drones non identifiés, le survol de l’Estonie par des avions de combat Mig-31 ou l’arraisonnement d’un vaisseau fantôme russe par la France donnent l’allure vintage d’une nouvelle guerre froide. Après la Pologne, la Roumanie, les États baltes et le Danemark, c’est au tour de la Belgique et de l’Allemagne de subir une violation caractérisée de leur espace aérien.
Si les chancelleries occidentales sont prudentes, le président américain ne s’est, une nouvelle fois, pas embarrassé de pudeur pour exhorter les Européens à abattre le moindre « avion russe » qui traverserait l’espace aérien de l’Otan. Fidèle aux méthodes soviétiques, le Kremlin nie, naturellement, toute ingérence. La concordance des faits ne laisse pourtant aucun doute sur les intentions de Vladimir Poutine. Les crispations russes devant la difficulté à réaliser une percée significative en Ukraine, l’« otanisation » de la mer Baltique, le choix pro-européen de la Moldavie, l’asphyxie économique qui guette ou encore le basculement de Trump en faveur de Kiev donnent l’impression que le sol se dérobe sous les pieds du maître de Moscou.
La Russie semble moins puissante aujourd’hui qu’elle ne l’était avant l’invasion ukrainienne. Poutine réagit en revenant aux fondamentaux qui ont fait la « gloire » passée de l’URSS : tétaniser les opinions occidentales, tester et surtout tenter d’affaiblir la cohésion de l’Union européenne, enfin jouer avec les nerfs de l’Otan pour évaluer ses capacités de riposte. Poutine profite des interrogations qui pèsent sur l’avenir de l’Alliance atlantique pour accélérer sa disparition. L’Histoire montre pourtant que chacun a eu besoin de l’autre comme combustible.
Que deviendrait Rome sans Carthage ?
Le maintien de l’Otan est régulièrement interrogé. Créée en 1949 pour prévenir le monde libre d’une attaque de l’Armée rouge, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord a rempli sa mission durant la guerre froide. La chute du mur de Berlin aurait dû sceller le bail, mais avec virtuosité, l’organisation atlantique a su se préserver devant l’irruption de nouvelles menaces.
En 1999, elle intervient au Kosovo et s’ouvre à des horizons plus exotiques, en Libye et en Afghanistan. Moscou ne trouve encore (presque) rien à y redire et constate, vexé, le désir de ses ex-républiques d’intégrer la formation atlantiste. Mais l’Otan redevient soudainement un épouvantail utile pour Vladimir Poutine.
La tentative de déstabilisation des sociétés occidentales est évidente
La perspective de l’intégration otanienne de l’Ukraine sert alors de prétexte à Poutine, qui n’en avait pas besoin, pour agresser son voisin. Mais la guerre éclair n’a pas eu lieu, et en près de trois ans, à peine 1 % du territoire a été péniblement conquis par la Russie. À la tête d’un pays épuisé économiquement, le président russe se tourne désormais contre l’Europe pour tenter de la détourner de l’Ukraine, afin qu’elle se recentre sur sa propre défense. La tentative de déstabilisation des sociétés occidentales est évidente. Poutine espère attiser les conflits politiques et sociaux des nations ennemies par un harcèlement constant. La Pologne a fait les frais de l’infiltration migratoire organisée depuis la Biélorussie. D’autres pays subissent des cyberattaques ou des assassinats ciblés. Rompu à la tactique soviétique, le Kremlin rêve de désolidariser l’Ouest de son limes de l’Est, et l’Europe des États-Unis.
Les intimidations dont l’Occident fait l’objet sont d’abord une volonté du Kremlin de tester les réactions de l’Otan. Les Russes savent que les démocraties libérales hésitent, surtout en temps de paix, à abattre des appareils qui pourraient s’abîmer sur des territoires habités. Convaincu que les opinions, toujours plus pacifistes, empêcheraient leurs dirigeants de mener le monde vers une troisième guerre mondiale, Poutine veut pousser l’Occident à la riposte pour se victimiser. Il assène l’idée que c’est l’Occident qui empêcherait la résolution du conflit ukrainien et pousserait à l’« escalade permanente ». L’Allemagne veut renforcer son armée, l’Union européenne veut se protéger par des murs de drones, « la riposte de la Russie ne se fera pas attendre ». Bruxelles veut contracter avec Kiev un « prêt de réparation » ; les Russes menaceront de « poursuites », ce qu’ils considèrent comme un « acte de guerre ».
Mais le pari des coups de menton est pour l’instant perdu. Les rodomontades des manœuvres militaires russes menées en Biélorussie n’impressionnent plus. Le piétinement militaire en Ukraine a transformé l’ogre russe en « tigre de papier ». Contre ces intrusions, la solidarité européenne s’est renforcée. La Pologne envisage un mur de drones, la Finlande protège le commerce de la Baltique, l’Allemagne prévoit d’élargir les possibilités d’intervention de la Bundeswehr. Et lorsqu’Emmanuel Macron fait arraisonner le pétrolier fantôme parti de Russie pour « refus d’obtempérer », il est suivi par tous les partenaires de l’Otan. Il leur enjoint de neutraliser la flotte fantôme russe par des contrôles militaires ciselés pour entamer l’effort de guerre russe. Même le locataire de la Maison-Blanche, toujours délicat à suivre en géopolitique, n’a pas remis en cause l’article 5 de l’Otan. Les maugréations de Donald Trump contre l’Organisation de l’Atlantique nord ne visent pas sa disparition, mais sa réforme par une répartition de la charge financière que le principal contributeur voudrait plus équitable entre ses membres.
Cette coopération apparente ne doit pas se contenter de nouvelles sanctions économiques en guise de réponse martiale. La détermination est le meilleur rempart face aux provocations ennemies. Revenant sur son expérience de secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg l’assure : les hésitations de l’institution au moment de l’annexion de la Crimée et du Donbass ont été décisives dans la décision d’envahir l’Ukraine. L’Histoire est bien un éternel recommencement.