« Nous assistons sous ce gouvernement, à un changement de paradigme dans lequel le modèle social tripartite basé sur des négociations d’égal à égal à la recherche de compromis est remplacé par une méthode du “je consulte et je décide” du Premier ministre [Luc Frieden] », écrit l’Union des syndicats OGBL*-LCGB** dans un communiqué de presse, daté du 12 septembre dernier. Les relations sont tendues depuis plusieurs mois entre les partenaires sociaux et le gouvernement à l’heure où de gros dossiers sont sur la table : avenir du système de pension, conventions collectives de travail, travail du dimanche et les heures d’ouverture dans le commerce… Vues de France, ces (vives) tensions ne surprendront personne. Au Luxembourg, c’est un peu « différent ».
La crise de la sidérurgie comme détonateur
Comme le soulignent les deux principaux syndicats luxembourgeois qui n‘ont pas toujours été sur la même longueur d’onde mais qui ont conclu une alliance durant l’été dernier pour mieux peser, (125 000 membres à eux deux), c’est le « modèle social luxembourgeois » qui est bousculé. Comprendre la fameuse « tripartite » qui repose sur un « dialogue » entre le gouvernement, le patronat et les syndicats en vue de trouver un consensus sur les grandes questions économiques et sociales. Ça ne date pas d’hier. Le modèle prend racine au début des années 1970 (en tout cas sous la forme actuelle).
« Nous assistons sous ce gouvernement, à un changement de paradigme ».
Les syndicats OGBL et LCGB
À cette époque, la sidérurgie génère un quart de la richesse du Luxembourg. Elle employait 20 % de la population (Statec). Lorsque le prix de l’acier s’est effondré ce fut un séisme. Il importait alors que l’Arbed (Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange), le gouvernement et les syndicats collaborent pour limiter les dégâts. Cela prendra un peu de temps mais le pays réussit à s’en sortir et ce mode de fonctionnement va progressivement s’installer dans le paysage et dépasser le seul cadre sidérurgique. Gaston Thorn, Premier ministre de 1974 à 1979, était alors à la manœuvre. « Le Premier ministre Thorn n’a pas seulement engagé des réformes de politique sociale mais il a aussi bouleversé le mode de fonctionnement du pays. Il a notamment fait avancer le modèle social tripartite parce qu’il était persuadé que le domaine politique nécessitait un dialogue permanent entre tous les concernés », dira de lui Jean-Claude Juncker (alors Premier ministre), lors du décès de Gaston Thorn, en 2007.
Pas un long fleuve tranquille
Dialoguer ne signifie pas que l’on se parle (toujours) gentiment en sirotant une Bofferding (ou une Rosport, bien entendu). Certaines tripartites ont favorisé des négociations fructueuses qui ont débouché sur de nombreuses avancées. D’autres ont été plus « compliquées », notamment lors de la crise financière de 2008 (Le Luxembourg était alors au bord du gouffre, les banques étaient en passe de s’effondrer), les syndicats dénonçant les dérives du tout « business ». « Nous ne payerons pas pour leur crise ! », pouvait-on lire sur les affiches, lors des grandes manifestations de 2009 qui ont mobilisé 30 000 personnes. D’une manifestation, l’autre. En juin dernier, 25 000 personnes manifestaient à Luxembourg contre la réforme des retraites, à l’appel de l’OGB-L, du LCGB, de l’Aleba*** et d’autres centrales syndicales. À plusieurs reprises, au cours de ces dernières décennies, la fin du modèle social Luxembourgeois a été annoncée. On verra bien ce qu’il en adviendra dans les mois et les années à venir et si, comme le soulignent l’OGBL et le LCGB, l’heure est venue de tourner la page. Cela dit, ce dialogue chaotique met aussi en lumière que le Grand-Duché doit actuellement composer avec des difficultés économiques, sociales, politiques et de gros dossiers – la retraite en est un – peut-être pas suffisamment « anticipés »… Et puis, c’est une autre réalité, au Luxembourg comme dans bon nombre de pays, les rangs des syndicats se dégarnissent.
*OGBL : Fondée en 1979, la Confédération syndicale indépendante du Luxembourg (en luxembourgeois : Onofhängege Gewerkschaftsbond Lëtzebuerg) est le premier syndicat au Luxembourg en nombre adhérents : plus de 76 000.**LCGB : Née en 1921, la Confédération luxembourgeoise des syndicats chrétiens (en luxembourgeois : Lëtzebuerger Chrëschtleche Gewerkschaftsbond) compte près de 50 000 adhérents.***Aleba : Fondée en 1918, l’Aleba (Association luxembourgeoise des employés de banque et d’assurance) est le syndicat le plus important et le plus influent de l’industrie financière du pays. Depuis 2023, il a élargi son champ d’action et a pris le nom d’Association luxembourgeoise pour tous les employés ayant besoin d’assistance. Il compte environ 10 000 adhérents.(Sources : sites des syndicats)Tous les articles de notre dossier, Le vrai visage du Luxembourg : cinquante nuances de Lux, sont à retrouver ici.